La reprise de l’économie mondiale offre une occasion d’agir à l’échelle mondiale

Par Maurice Obstfeld
10 octobre 2017

Dans la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale , les prévisions pour la croissance mondiale ont été relevées à 3,6 % pour cette année et à 3,7 % ensuite, tirées par la zone euro, le Japon, la Chine et de nombreux pays émergents. (Photo : Liulolo/ iStock, Getty Images)


La reprise mondiale se poursuit et même s’accélère. La situation a singulièrement évolué depuis le début d’année, marqué par une croissance hésitante et des turbulences sur les marchés financiers. L’accélération du redressement cyclique auquel nous assistons stimule l’Europe, la Chine, le Japon et les États-Unis, mais aussi les pays émergents d’Asie.

Dans la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale , les prévisions pour la croissance mondiale ont donc été relevées à 3,6 % pour cette année et à 3,7 % pour 2018. Pour ces deux années, elles dépassent de 0,1 point nos prévisions précédentes et sont largement supérieures au taux de croissance mondiale de 3,2 % de 2016, le plus bas depuis la crise financière mondiale.

Pour 2017, le relèvement s’explique principalement par l’amélioration des perspectives dans les pays avancés, tandis que la révision pour 2018 se fonde davantage sur la situation dans les pays émergents et en développement. En Afrique subsaharienne, tout particulièrement, où la croissance moyenne du revenu par habitant stagnait depuis deux ans, nous anticipons une très large embellie en 2018.

L’accélération actuelle de l’économie mondiale est notable aussi par son envergure, plus de pays étant concernés que jamais depuis le début de la décennie. Cette envergure favorise la conduite de politiques ambitieuses à l’échelle mondiale, qui soutiendront la croissance et renforceront la résilience économique dans le futur. Les dirigeants doivent saisir cette occasion : dans certains domaines importants, la reprise n’est pas terminée et l’opportunité offerte par la reprise en cours ne sera pas éternelle.

Une reprise mondiale incomplète

Pourquoi parler de reprise incomplète? Trois facteurs importants justifient l’emploi de ce terme.

Premièrement, la reprise est incomplète dans les pays. Même si la production se rapproche de son potentiel dans les pays avancés, la croissance des salaires nominaux et réels reste modeste. Cette morosité salariale succède à de nombreuses années durant lesquelles les revenus réels médians ont augmenté bien moins vite que les plus hauts revenus, voire stagné. Les leviers de croissance (progrès technologique, commerce, etc.) ont produit des effets inégaux, propulsant certains salaires et restant inefficaces sur d’autres, dans un contexte de transformation structurelle. Le creusement des inégalités de revenu et de richesse qui en résulte a contribué à la désillusion politique et au scepticisme concernant les avantages de la mondialisation, ce qui fragilise la reprise.

Deuxièmement, la reprise est incomplète entre les pays. Alors que la plupart des régions du monde en bénéficient, les pays émergents et les pays à faible revenu exportateurs de produits de base, en particulier les exportateurs d’énergie, demeurent dans une situation délicate, comme d’ailleurs plusieurs pays en proie à des troubles civils ou politiques, essentiellement au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et subsaharienne, et en Amérique latine. Bon nombre de petits pays sont en difficulté. Environ un quart des pays ont enregistré une croissance négative du revenu par habitant en 2016 et le scénario devrait être le même pour près d’un cinquième d’entre eux en 2018, malgré le rebond actuel.

Enfin, la reprise est incomplète dans le temps. La reprise conjoncturelle masque des tendances à moyen terme bien plus en demi-teinte, même en tenant compte de l’effet arithmétique d’un accroissement démographique plus lent. Pour les pays avancés, la croissance de la production par habitant est à présent attendue à seulement 1,4 % l’an en moyenne sur la période 2017-22, contre 2,2 % l’an entre 1996 et 2005. De surcroît, nous prévoyons que pas moins de 43 pays émergents et en développement afficheront une croissance par habitant encore plus faible que les pays avancés au cours des cinq prochaines années. Ils s’écartent au lieu de converger, à contre-courant de la tendance plus salutaire de recul des inégalités entre les pays, liée à la croissance rapide que connaissent des pays émergents dynamiques comme la Chine et l’Inde.

Possibilité d’action

Ces disparités mettent les autorités au défi de prendre des mesures, d’agir sans attendre, en profitant de la conjoncture favorable. Ils devront articuler leur action suivant trois axes afin de parachever les réformes importantes engagées depuis la crise mondiale pour stabiliser le système financier, sans les affaiblir.

Les réformes structurelles nécessaires varient selon les pays, mais tous ont largement les moyens de prendre des mesures qui accroîtront la résilience économique en même temps que la production potentielle. Nos travaux ont montré que les réformes structurelles sont plus faciles à mettre en œuvre quand l’économie est vigoureuse.

Pour plusieurs pays ayant quasiment renoué avec le plein emploi, le temps est venu de réfléchir à un assainissement progressif des finances publiques pour réduire des niveaux de dette publique excessifs et constituer des réserves en prévision de la prochaine récession. L’augmentation des dépenses pour l’infrastructure et l’éducation qui s’impose dans certains pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire peut en outre doper la demande mondiale, au moment où les mesures d’assainissement prises ailleurs l’affaiblissent. Ce panachage budgétaire multilatéral peut aussi contribuer à réduire des déséquilibres mondiaux excessifs.

L’une des priorités en vue d’une croissance durable et partagée par tous est d’investir dans le capital humain, à tous les âges mais en particulier dans les jeunes. Améliorer l’instruction, la formation et le recyclage peut faciliter l’ajustement des marchés du travail aux transformations économiques à long terme – liées au commerce mais pas uniquement —  et doper la productivité. À court terme, il convient de se pencher sans délai sur le niveau excessivement élevé du chômage des jeunes dans de nombreux pays. Investir dans le capital humain devrait également permettre de stimuler la part du travail dans le revenu, contrairement à la tendance des dernières décennies, mais les gouvernements devraient aussi penser à supprimer les distorsions qui ont pu anormalement réduire le pouvoir de négociation des travailleurs.

En résumé, le double effet des politiques structurelles et budgétaires devrait promouvoir des conditions économiques propices à une croissance des salaires durable et plus équitable.

Le troisième axe, constitué par la politique monétaire, conserve un rôle essentiel. Les menaces déflationnistes précédemment observées dans les pays avancés ont considérablement reculé, mais l’inflation demeure étonnamment faible, malgré la baisse des taux de chômage. Une communication claire des banques centrales et un déroulement harmonieux de la normalisation des politiques monétaires, dans les pays concernés et selon des calendriers appropriés, demeurent indispensables. Le cas échéant, cela permettra d’éviter les turbulences sur les marchés et le resserrement brutal des conditions de financement, qui pourraient perturber la reprise et ne seraient pas sans effets sur les pays émergents et en développement. Ces derniers font également face à divers obstacles en matière de politique monétaire mais devraient si possible continuer de se servir de la flexibilité des changes pour amortir les chocs extérieurs, sans négliger les répercussions possibles sur la stabilité des prix.

Bon nombre de problèmes mondiaux réclament des mesures multilatérales. Pour que la coopération soit bénéfique aux différents partenaires, il importe en priorité de renforcer le système commercial mondial, de continuer d’améliorer la réglementation financière, de renforcer le filet de sécurité financière mondial, et de lutter contre l’évasion fiscale internationale mais aussi contre la famine et les maladies infectieuses. Il est tout aussi crucial d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre avant qu’elles ne provoquent de nouveaux dommages irréversibles et d’aider les pays les plus pauvres, qui émettent relativement peu, à s’adapter au changement climatique.

Si la vigueur de la reprise actuelle rend le moment idéal pour des réformes intérieures, son envergure rend la coopération multilatérale opportune. Les dirigeants doivent passer à l’action tandis que l’occasion leur est offerte.

Chapitres des PEM:

• Blog : La déconnexion entre le chômage et les salaires

• Blog : Le coût inégal de la hausse des températures : comment faire face dans les pays à faible revenu?

• Blog : Les effets transfrontières positifs des mesures budgétaires
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Maurice Obstfeld est le Conseiller économique et Directeur du Département des études du FMI, en disponibilité de l’université de Californie, à Berkeley, où il est professeur d’économie Class of 1958 et anciennement directeur de la faculté d’économie (1998–2001). Professeur à Berkeley depuis 1991, il a auparavant occupé les postes de professeur titulaire à l’université Columbia (1979–86) et à l’université de Pennsylvanie (1986–89), et de professeur invité à Harvard (1989–90). Il a obtenu son doctorat en économie au MIT en 1979, après avoir étudié à l’université de Pennsylvanie (licence, 1973) et au King’s College de l’université de Cambridge (maîtrise, 1975).



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