Les dégâts de la corruption

Christine Lagarde 8 décembre 2017


La corruption peut avoir des effets dévastateurs pour la croissance et la stabilité économiques. (photo: Patric Sandri IKON Images-Newscom)

Pourquoi le FMI se préoccupe-t-il tant de la corruption? C’est simple : le rôle du FMI est de préserver la stabilité de l’économie mondiale et de promouvoir une croissance économique vigoureuse, durable, équilibrée et inclusive. Or, lorsque la corruption est endémique et institutionnalisée, cette mission devient difficile, voire impossible à remplir.

Pourquoi la corruption est un problème

Concrètement, la corruption affaiblit la capacité de l’État à faire son travail. Elle rabote les recettes dont il a besoin et pervertit les décisions budgétaires, car les autorités peuvent être tentées de favoriser les projets qui rapportent des pots-de-vin au détriment de ceux qui créent de la valeur économique et sociale. C’est mauvais pour la croissance comme pour les perspectives économiques. C’est mauvais pour l’équité et la justice, car les pauvres sont ceux qui souffrent le plus de la diminution des dépenses sociales et des sommes investies dans le développement durable. C’est également mauvais pour la stabilité économique, car des rentrées fiscales réduites, combinées à un usage dispendieux des deniers publics, constituent un mélange toxique qui dégénère facilement en déficits incontrôlables.

D’une manière plus générale, la corruption endémique peut fissurer les fondements d’une économie saine en dépréciant les normes sociales et en sapant les vertus civiques. Quand les riches ne paient pas leurs impôts, c’est l’ensemble du système qui perd en légitimité. Lorsque la tricherie est récompensée, lorsqu’il apparaît que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour les nantis, la confiance cède le pas au cynisme et la cohésion sociale se fragmente. Au pire, cela peut déboucher sur des dissensions et des conflits civils.

Si les fondations de votre maison sont «pourries» (autre sens du mot «corrompues»), comment bâtir une économie forte et soutenable? C’est impossible.

C’est un phénomène particulièrement délétère pour la jeunesse. Quand la corruption est profondément enracinée, trop de jeunes n’entrevoient aucune perspective d’avenir, aucun but auquel aspirer; impossible de participer à la vie sociale, de lui imprimer leur marque, de s’y épanouir ou d’y apporter leur contribution. Ils perdent toute motivation à faire des études, puisqu’ils savent que la réussite dépend des relations et non des capacités. Abandonnant leurs illusions, ils deviennent désengagés, désenchantés. Ils perdent espoir. La corruption empoisonne les âmes.

Il n’est donc pas surprenant que l’existence ou non d’une corruption endémique soit l’une des principales causes des écarts de bien-être entre les pays.

Rien d’étonnant non plus à ce que la lutte contre la corruption soit un élément central de la réussite des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’objectif 16, qui appelle la communauté internationale à «promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous». L’objectif 16 prévoit des buts spécifiques relatifs à la lutte contre la corruption, les pots-de-vin et les flux financiers illicites. Mais au-delà de cela, la réalisation de tous les autres ODD nécessitera au premier chef de s’attaquer à ce cancer corrosif qu’est la corruption. Je le répète, on ne construit pas une maison sur des fondations qui pourrissent.

S’attaquer à la corruption est particulièrement important dans le contexte actuel. Je pense ici à l’ampleur de l’évasion fiscale, révélée récemment par de scandaleuses révélations, à la montée de la méfiance à l’égard des institutions traditionnelles, accusées de ne profiter qu’aux initiés et aux nantis, et à l’importance de s’attaquer en priorité à des problèmes tels que l’incertitude des perspectives d’emploi, l’augmentation des inégalités et l’intensification de la pression environnementale.

Le rôle du FMI

En quoi le FMI peut-il aider? En ce moment même, nous revoyons de fond en comble notre politique de lutte contre la corruption, afin de la rendre plus efficace dans le contexte mondial actuel.

Je ne voudrais pas préjuger de ce travail qui est en cours, mais certains points sont clairs. Tout d’abord, même si le FMI possède une politique de lutte contre la corruption, qui date de 1997, cette politique pourrait être appliquée avec plus de rigueur et de constance, et accompagnée de recommandations concrètes et précises. À cet égard, il est particulièrement important de se montrer impartial. La corruption peut gangrener les pays riches comme les pays pauvres, les grands pays comme les petits pays, les pays stables comme les pays fragiles. Toutes les fois et partout où nous jugeons qu’elle compromet gravement la croissance inclusive et la stabilité macroéconomique, nous devons analyser la situation avec la plus grande attention et discuter en toute franchise des messages politiques avec les gouvernements.

En deuxième lieu, nous devons tous reconnaître que la corruption est un monstre à deux mains : derrière tout corrompu, il y a un corrupteur. Les agents chargés de la lutte contre la corruption doivent remonter les filières. Cela suppose notamment de s’attaquer aux problèmes d’impunité et de malversations dans le secteur privé, y compris au sein de grandes entreprises établies dans des capitales de premier plan, qui se livrent à la corruption de fonctionnaires étrangers. Le FMI doit avoir une discussion franche avec ses pays membres dont des citoyens et des entreprises se trouvent fréquemment impliqués dans de tels actes et dont les institutions facilitent le blanchiment de sommes amassées par la fraude fiscale, la fraude financière et la corruption. La corruption est l’un des aspects sombres de la mondialisation, et nous devons la mettre en lumière. C’est de la plus grande importance pour la légitimité d’une mondialisation qui, j’en suis convaincue, peut — et doit — faire le bien de tous.

Nous n’avons pas dit notre dernier mot sur ce sujet, je peux vous l’assurer!



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