Combattre le côté obscur de la cryptosphère

Par Christine Lagarde
Le 13 mars 2018

Ce qui fait l’attrait des crypto-avoirs les rend également dangereux (iStock par Getty Images).

Que la valeur du bitcoin augmente ou diminue, la question que les gens se posent à travers le monde reste la même : « Quel est exactement le potentiel de croissance des crypto-avoirs ? »

La technologie qui sous-tend ces avoirs, notamment celle des chaînes de blocs, est une avancée captivante susceptible de révolutionner des domaines autres que la finance. Elle pourrait, par exemple, stimuler l’inclusion financière en fournissant de nouvelles méthodes de paiement moins chères aux personnes n’ayant pas de compte bancaire et, par la même occasion, autonomiser des millions d’habitants de pays à faible revenu.

Ces avantages potentiels ont même poussé certaines banques centrales à réfléchir à l’idée d’émettre de la monnaie centrale numérique.

Toutefois, avant d’en arriver là, prenons du recul pour cerner les périls qui accompagnent cette promesse.

Le danger des crypto-avoirs

Ce qui fait l’attrait des crypto-avoirs (ou ce que d’aucuns appellent les cryptomonnaies) les rend également dangereux. Ces produits numériques sont généralement mis au point de façon indépendante et sans intervention d’une banque centrale. Cela confère un degré d’anonymat aux transactions de crypto-avoirs, comme c’est le cas pour les transactions en espèces.

En conséquence, nous sommes peut-être face à un nouveau moyen important de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

Un exemple récent illustre l’ampleur du problème.

En juillet 2017, une opération internationale menée par les États-Unis a entraîné la fermeture d’AlphaBay, le plus grand marché criminel en ligne. Pendant plus de deux ans, il avait permis la vente de stupéfiants, d’outils de piratage, d’armes à feu et de produits chimiques toxiques à travers le monde. Avant la disparition de ce site, plus d’un milliard de dollars y avait été échangé sous forme de crypto-avoirs.

Bien entendu, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne constituent qu’un aspect de la menace. La stabilité financière en est un autre. La croissance rapide des crypto-avoirs, l’extrême volatilité des prix auxquels ils s’échangent et leurs liens mal définis avec le monde financier traditionnel pourraient facilement créer de nouvelles sources de vulnérabilité.

D’où la nécessité de concevoir de nouvelles réglementations pour faire face à un défi qui évolue. Bon nombre d’organisations ont d’ores-et-déjà entrepris ce travail.

L’un des exemples louables est celui du Conseil de stabilité financière, qui planche sur les nouvelles règles nécessaires pour répondre aux avancées des technologies financières. Un autre exemple est celui du Groupe d’action financière (GAFI), l’organisme qui définit les normes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il prodigue des conseils utiles aux pays sur la manière de gérer les cryptomonnaies et d’autres avoirs électroniques.

Le FMI agit également dans ce domaine. Nos travaux sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme remontent à une vingtaine d’années. Guidés par les normes fixées par le GAFI, nous avons réalisé 65 évaluations de cadres réglementaires nationaux et renforcé les capacités de plus de 120 pays. Nous aidons principalement nos pays membres à conjurer le spectre des flux financiers illicites.

Nous sommes toutefois conscients que des efforts supplémentaires s’imposent afin de maîtriser la menace nouvelle que représentent les crypto-avoirs et de garantir la stabilité du système financier. Par où commencer ?

Combattre le feu par le feu

Nous pouvons dans un premier temps privilégier des politiques qui garantissent l’intégrité financière et protègent les consommateurs dans la cryptosphère, tout comme c’est le cas dans le secteur financier traditionnel.

En effet, les mêmes innovations qui stimulent les crypto-avoirs peuvent également nous aider à les réglementer.

En d’autres termes, nous pouvons combattre le feu par le feu.

Les technologies de réglementation et de contrôle peuvent permettre de tenir les criminels à l’écart de la cryptosphère.

Il faudra des années pour perfectionner et mettre en œuvre ces progrès. Deux exemples illustrent la promesse du recours à cette démarche à long terme.

• La technologie des registres distribués (DLT) peut être utilisée pour accélérer le partage d’informations entre opérateurs du marché et instances de réglementation. Ceux qui ont pour intérêt commun d’assurer la sécurité et la sûreté des transactions en ligne doivent pouvoir communiquer sans encombre. La technologie qui permet de réaliser des transactions mondiales de façon instantanée pourrait être utilisée pour créer des registres d’informations types vérifiées sur les clients, avec des signatures numériques. Une meilleure utilisation des données par les pouvoirs publics peut également libérer des ressources pour des besoins prioritaires et réduire la fraude fiscale, notamment celle liée aux transactions internationales.

• La biométrie, l’intelligence artificielle et la cryptographie peuvent être utilisés pour renforcer la sécurité numérique et détecter des opérations suspectes en temps réel ou quasi réel. Cela permettrait aux forces de l’ordre d’agir par anticipation pour empêcher les transactions illégales. Il s’agit là d’une solution pour dépolluer l’écosystème des crypto-avoirs.

Par ailleurs, nous devons nous assurer que les mêmes règles de protection des consommateurs s’appliquent tant aux transactions numériques que non numériques. La Commission des valeurs mobilières des États-Unis et d’autres organismes de réglementation à travers le monde appliquent désormais à certaines offres initiales de cryptomonnaie les mêmes règles qu’aux titres classiques. Cela contribue à accroître la transparence et à alerter les acheteurs sur les risques qu’ils encourent.

Mais aucun pays ne peut seul relever ce défi.

Une coopération international s’impose

Afin de porter leurs fruits, tous les efforts exigent une étroite collaboration internationale. Les crypto-avoirs ne connaissant pas de frontière, ils font appel à un cadre de réglementation international.

À titre d’exemple, la fermeture du site AlphaBay a été couronnée de succès grâce à la coopération d’Europol et des services de police des États-Unis, de la Thaïlande, des Pays-Bas, de la Lituanie, du Canada, du Royaume-Uni et de la France.

Les pays devront ensemble décider de s’engager sur cette voie. Il est encourageant de noter que les membres du G-20 ont convenu d’inscrire les crypto-avoirs à l’ordre du jour de leur sommet prévu en novembre en Argentine.

Le FMI ne sera pas en reste. Du fait que nous réunissons presque tous les pays du monde et étant donné notre expertise, notamment en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, nous sommes les mieux placés pour servir de tribune à la recherche de solutions dans une cryptosphère en évolution.

Quel avenir pour la cryptomonnaie ?

La volatilité des crypto-avoirs a suscité un débat intense sur la question de savoir s’il s’agit d’une bulle, d’une mode passagère ou d’une révolution équivalente à l’avènement de l’internet qui bouleversera l’ensemble du secteur financier et finira par remplacer la monnaie fiduciaire.

Il est évident que la réponse se trouve entre ces extrêmes.

Comme je l’ai dit auparavant, il ne serait pas sage de rejeter les crypto-avoirs ; nous devons saluer leur potentiel tout en reconnaissant les risques qu’ils posent.

En travaillant ensemble et en mettant la technologie au service du bien commun, nous pouvons exploiter le potentiel des crypto-avoirs tout en nous assurant qu’ils ne deviennent jamais un refuge pour des activités illégales ni un facteur de vulnérabilité financière.
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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des Finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au Commerce extérieur pendant deux ans.

Par ailleurs, Mme Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.



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