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Discours de Monsieur Laurent Fabius
Ministre français de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
au Comité monétaire et financier international
le 16 avril 2000

Anglais
Liste des déclarations

Au moment de prendre mes fonctions de Gouverneur pour la France du FMI et de la Banque Mondiale, je veux d'abord dire mon respect chaleureux à chacun d'entre vous et mon attachement à ces Institutions. Elles sont un outil au service d'un développement solidaire dans le monde. Elles sont un élément central au service d'un système financier international qui doit être plus stable et plus juste. Bien sûr elles doivent s'adapter aux nouveaux défis auxquels nous faisons face, mais il ne saurait s'agir de les affaiblir. La France entend au contraire renforcer leur rôle dans la nouvelle économie globale, promouvoir une plus grande transparence, un partenariat étroit avec les sociétés civiles, car là est l'amorce nécessaire d'une bonne gouvernance mondiale.

Je veux également saluer le rôle éminent qu'a joué Michel Camdessus à la tête du FMI. Il a consacré son talent et son énergie à œuvrer en faveur de la stabilité financière et du développement des pays pauvres. Qu'il en soit à nouveau remercié, en même temps que nous souhaitons pleine réussite à son successeur, H. Kohler.

I - Lutter contre la pauvreté et assurer la cohérence du soutien aux pays en développement.

Mesdames, Messieurs,

L'un des messages centraux que je souhaite faire passer aujourd'hui est que le FMI doit aider tous les pays, en particulier les plus pauvres, à accéder à un développement durable ou soutenable : cela est plus que jamais la mission prioritaire des institutions financières internationales. Ce soutien doit être universel, c'est-à-dire disponible pour tous les pays membres.

Nous sommes depuis longtemps des combattants du développement. Le combat, évidemment, n'est pas terminé, en particulier en Afrique. Je suis fier de l'engagement de la France en faveur du développement, jamais démenti, comme le prouve notre contribution aux flux d'aide publique au développement, la plus importante rapportée au PIB des pays du G7.

Je sais bien qu'une tentation existe chez certains d'agir autrement et, au prétexte d'une rationalisation, de vider peu à peu de sa substance l'action du FMI en faveur des plus pauvres. Telle n'est pas et ne peut pas être la position de la France. Il n'est pas question qu'il y ait d'un côté une rhétorique pour les pauvres et de l'autre une pratique différente. Le plus grand risque systémique, c'est celui de la pauvreté. Tous les pays membres doivent avoir un accès au financement. Nous devons rechercher l'efficacité optimale dans les actions spécifiques de la Banque et du Fonds. Pour autant, on n'évitera pas, si on veut être pragmatique, un certain recouvrement des activités entre la Banque et le Fonds. En tout cas, je pense que nous ne devons pas accepter que les statuts de ce dernier soient, sur ce point, altérés. C'est aussi une question de légitimité pour le Fonds, qui est une coopérative. Dans ce cadre, je propose que nous nous fixions deux grandes priorités :

Contribuer à l'adoption de règles internationales favorables au développement durable : qu'il s'agisse de réformer le système monétaire et financier international pour lutter contre l'instabilité financière, de faire progresser les conventions sur l'environnement pour préserver le patrimoine mondial, d'ouvrir des négociations sur les règles commerciales ou de faire évoluer les normes sociales, il y a urgence à créer l'environnement juridique international le plus favorable possible au développement durable. Il ne se créera pas tout seul, par le marché.

· Réduire le poids de la dette pour les pays les plus pauvres : l'initiative « pays pauvres très endettés » offre un cadre adapté pour que les pays les plus pauvres et les plus endettés retrouvent le chemin d'un développement soutenable, tout en les encourageant à un processus de réformes et en contribuant à la réduction de la pauvreté. Nous ne devons pas décevoir les attentes suscitées par l'initiative de Cologne.

A cet égard, je regrette que le financement de l'initiative ne soit pas définitivement stabilisé. Des progrès ont été enregistrés au sein des institutions multilatérales et en termes de contributions bilatérales. L'Union européenne a fait sa part du chemin avec une contribution de plus d'un milliard d'euros, dont 680 millions destinés à la Banque africaine de développement via le fonds fiduciaire PPTE. Mais l'ensemble des engagements pris doivent se traduire dans les faits, car il est primordial que, pour chaque pays, les assurances de financement suffisantes soient réunies au moment où son éligibilité à l'initiative est décidée par le FMI et la Banque mondiale. Nous ne pouvons pas engager l'avenir sans être assurés de pouvoir faire face au besoin de financement des institutions multilatérales lié à l'initiative PPTE. C'est aussi une question d'équité : il ne serait ni juste ni défendable que certains créanciers s'exonèrent du partage de l'effort financier à accomplir. L'engagement résolu des pays membres du Club de Paris est connu : il me paraît impératif que les autres créanciers bilatéraux participent eux aussi équitablement.

Je crois même qu'il est possible d'aller plus loin en s'engageant à ce que l'effort consenti au titre des réductions de dette soit véritablement additionnel et ne vienne pas s'effectuer en remplacement de l'aide publique au développement. La France l'a fait, en s'engageant à annuler, à titre bilatéral, au point d'achèvement, la totalité de ses créances d'aide publique au développement et la totalité de ses créances commerciales éligibles à un traitement en Club de Paris. Nous annulerons ainsi près de 8 milliards d'euros de créances dans le cadre de l'initiative PPTE renforcée.

Pour autant, chacun est conscient que l'annulation de la dette n'est pas suffisante pour donner à ces pays les moyens de se développer. Les riches sont plus riches ; les pauvres ne sont-ils pas toujours aussi pauvres ? Je regrette, par exemple, que dans une autre instance, on n'ait pas été capable d'éliminer les droits de douane pour les exportations des pays les plus pauvres, privant ceux-ci des moyens nécessaires du développement. Il faut concentrer vers les pays pauvres qui n'ont pas accès aux capitaux privés les ressources de l'aide publique, pour développer les infrastructures de base, investir dans l'éducation et la santé et créer les conditions favorables au développement de l'investissement privé.

II - Poursuivre la réforme de l'architecture financière internationale

Cela fait bientôt deux ans que la réforme du système monétaire et financier international est fortement à l'ordre du jour. Vous savez que le Gouvernement français a depuis longtemps été parmi ceux qui ont souhaité cette réforme et agi en sa faveur. Aujourd'hui je me réjouis de constater que les avancées sont réelles.

Des moyens financiers accrus ont été donnés au FMI, ce qui a permis de rassurer les marchés financiers sur nos capacités d'intervention. Des instruments financiers mieux adaptés à la mondialisation des marchés de capitaux, mettant l'accent sur la prévention des crises, ont été créés.

Le principe de base que nous devons retenir, c'est la transparence. Transparence d'autant plus indispensable que la corruption coûte très cher en argent et en inefficacité de l'aide. Le temps où le secret était la règle est révolu, tant mieux. La transparence doit être respectée dans toutes les institutions, la transparence sous toutes ses formes.

Par exemple les récentes recommandations du Forum de stabilité financière, créé il y a un an pour tirer les leçons des violentes crises financières asiatique puis russe, démontrent une prise de conscience collective : il est nécessaire de renforcer la régulation financière internationale pour parvenir à un meilleur fonctionnement des marchés. Je me réjouis de ce qu'un consensus ait été réuni. J'espère que notre Comité sera d'accord pour appeler à la mise en œuvre rapide des recommandations du Forum, afin d'imposer notamment une transparence suffisante aux « hedge funds » de grande taille ; afin, aussi, de jeter toute la lumière sur les « trous noirs » que constituent souvent les centres offshore, et qui déstabilisent par leur existence même le système financier international et ses règles.

Sur ces dossiers il y a urgence. Nous devons entendre ce que réclame la société civile. D'une certaine manière, nous avançons, dans cette enceinte, par la voie de la bonne volonté. Mais il suffit que quelques pays ne respectent pas nos standards pour créer des trous inacceptables dans le dispositif que nous échafaudons, c'est ce que la société moderne n'accepte pas et nous devons l'écouter. On parle beaucoup de la taxe Tobin - une proposition née de ce côté de l'Atlantique sur laquelle les opinions sont diverses -, mais quelque mécanisme ou régulation qu'on adopte, il y aura inefficacité si subsistent les trous des centres offshore. Comme responsable politique, j'accepte et je revendique le pragmatisme, mais je refuse la résignation et l'impuissance.

Un point aussi me préoccupe: la lenteur de nos progrès sur l'implication financière du secteur privé dans la résolution des crises internationales. Il s'agit tout simplement d'être cohérents. Nous constatons le développement du financement privé dans les économies émergentes. Il est normal que le poids des ajustements économiques ne porte pas exclusivement sur les populations des pays touchés par les crises, notamment lorsque ces crises ont été, en partie au moins, la conséquence d'erreurs d'analyse d'investisseurs privés. Faire en sorte que les créanciers privés assument pleinement la responsabilité de leurs investissements, c'est contribuer à la régulation des marchés au service de la prévention des crises financières. C'est donc une mission essentielle du FMI.

Mon collègue portugais Joaquim Pina Moura, président du Conseil Ecofin de l'Union européenne, a proposé les orientations devant guider notre approche. Il a souligné que l'implication du secteur privé doit constituer un principe et non une exception, ce à quoi je souscris pleinement.

Trois principes doivent, me semble-t-il, guider à cet égard l'action du FMI : (i) le secteur privé doit être appelé à contribuer dès lors que la soutenabilité d'un programme à court et à moyen terme est en jeu ; (ii) le secteur public et le secteur privé doivent être traités de façon comparable, de même que les différentes catégories de créanciers privés ; (iii) les rôles du FMI, des pays débiteurs et des créanciers doivent être clairement établis. Le FMI doit dans ce domaine jouer un rôle plus central. Qui, sinon lui peut décider si le secteur privé doit contribuer ou non à un plan de financement en faveur d'un pays donné ? Il lui revient de fixer un montant en fonction de l'intervention en aval du Club de Paris, de vérifier que tout est mis en 156;uvre pour que les créanciers privés soient équitablement traités.

Enfin, il me paraît fondamental que les conséquences d'une implication insuffisante des créanciers privés à la suite d'une négociation de dette soient clairement affichées ex ante.

III - Adapter les réformes des institutions financières internationales

Mes chers collègues,

Puisque notre nouveau Comité monétaire et financier international doit orienter l'action du FMI, je suggère de nous mettre d'accord sur quelques règles, qui doivent fonder l'adaptation du FMI à la nouvelle donne issue du développement des marchés internationaux de capitaux privés.

  • Comme je l'ai déjà dit, la multiplication des sources de financement privé ne saurait mettre en cause le principe d'universalité du FMI et plus largement celle des institutions financières internationales.

  • La prévention des crises doit constituer la priorité du FMI. La surveillance, l'incitation des Etats-membres à améliorer les informations qu'ils fournissent aux marchés doivent être conçues dans cet esprit. La ligne de crédit conditionnelle (CCL) doit être rendue réellement utilisable. Je ne pense pas qu'il faille en affaiblir les termes, mais plutôt qu'il faut les clarifier.

  • Le FMI doit améliorer les modalités de son soutien financier lorsqu'il est nécessaire, en s'attachant plus particulièrement à deux aspects :

    • l'aide concessionnelle de long terme pour les pays les plus pauvres ;

    • un accompagnement des pays présentant des déficiences structurelles encore importantes et dont l'accès aux financements privés reste de ce fait fragile et instable.

Car les faits sont là : le FMI est la seule institution internationale à même de contribuer à la stabilité macrofinancière dans beaucoup de pays, grâce à son aide financière et à la conditionnalité qui l'accompagne. Sans cette stabilité, il serait illusoire de croire que les réformes structurelles essentielles à la mise en place d'une économie de marché et à l'éradication de la pauvreté sont possibles. C'est pourquoi je suis persuadé que le FMI a un rôle central à jouer dans le développement.

Cela pose la question de la gouvernance mondiale vers une globalisation humanisée. Il y a une mondialisation de la finance, il faut qu'il y ait une mondialisation du pouvoir financier. Et, autant que possible, démocratisation des institutions qui l'assurent. La France a fait diverses propositions sur ce sujet jusqu'ici sans grand succès. Nous les maintenons. Le PNUD estime que c'est la « bonne gouvernance » qui peut permettre de transformer la lutte contre la pauvreté en réduction effective de la pauvreté. Au sommet de l'architecture financière internationale, les grandes institutions doivent être légitimes. Cela exige une action déterminée de la communauté internationale. Par exemple, la lutte contre la corruption et la délinquance financière. La France a été l'un des promoteurs de la convention contre la corruption signée à l'OCDE. Nous avons lancé l'idée des travaux en cours du GAFI sur les territoires non-coopératifs. Il semble que nous devons nous concentrer également davantage plus sur les liens entre la gouvernance et l'aide prodiguée par les institutions de Bretton Woods. Ce dossier est emblématique : il devient essentiel que tous les pays disposant d'une place financière ouverte et significative instaurent un système anti-blanchiment efficace. Reconnaissons que jusqu'ici la surveillance et les programmes du FMI n'intègrent pas suffisamment cette dimension. Je me réjouis donc que le forum de stabilité financière ait proposé de considérer comme standard « prioritaire » les 40 recommandations du GAFI : ceci doit amener le FMI à prendre en compte concrètement cette dimension. J'espère que nous pourrons très rapidement établir la liste des territoires à l'encontre desquels la communauté internationale décidera d'agir avec fermeté pour les conduire à stopper leurs pratiques déstabilisantes. Nous en avons la capacité. C'est désormais une question de volonté politique.

IV - Amplifier notre coopération pour une croissance mondiale plus équilibrée

Mes chers collègues,

L'économie mondiale a retrouvé le chemin de la croissance. La situation générale des pays émergents s'améliore ; les Etats-Unis ont surpris par la vigueur de leur croissance. Cette croissance doit demeurer équilibrée, malgré la grande instabilité des marchés financiers et je me félicite à cet égard qu'une politique budgétaire saine contribue à réduire le déficit d'épargne de l'économie américaine. Le Japon, nous le savons, demeure un sujet de préoccupation tant que la demande intérieure n'aura pas montré clairement sa capacité à soutenir la reprise.

S'agissant de l'Union européenne et de la zone euro, je partage l'appréciation portée par mon collègue portugais : la reprise européenne est solide et durable. La France fait partie des pays qui y contribuent le plus. La confiance a été la clé de notre croissance : confiance des entreprises - l'investissement se développe à un rythme soutenu et régulier - et, confiance des consommateurs, grâce notamment à la vigueur des créations d'emplois. Au second semestre de 1999, la croissance s'est installée sur un rythme de croisière proche de 4% l'an. Grâce aux réformes mises en 156;uvre sur le marché du travail, la croissance est devenue plus riche en emplois. Ce mouvement devrait se prolonger. Il n'affecte pas la productivité totale des facteurs de production, que soutient l'effort d'investissement. Le taux de chômage passera en dessous de la barre des 10% dans le courant de l'année 2000, ce qui n'était pas arrivé depuis 10 ans.

Nous avons l'occasion historique en Europe d'engager un cycle de croissance forte et durable. Nous devons pour cela poursuivre la réforme solidaire de nos économies.

  • Notre priorité va bien sûr à l'emploi, et nous poursuivrons les réformes structurelles du marché du travail.

  • Notre croissance est amplifiée par les nouvelles technologies de l'information et des communications, dont le développement est spectaculaire depuis quelques années en Europe et qui se diffusent désormais à toute l'économie.

  • Nos entreprises tirent déjà le meilleur parti de la monnaie unique, l'euro. Nous progressons pour améliorer et harmoniser le fonctionnement de nos marchés financiers, lutter contre la concurrence fiscale quand celle-ci pénalise la croissance, encourager les partenariats entre entreprises européennes.

Ces sujets ont été abordés par nos Chefs d'Etat et de gouvernement lors du récent Conseil européen extraordinaire de Lisbonne, ils témoignent de notre ambition collective d'aller de l'avant vers une société de plein emploi, de croissance et de savoir, qui constituera un moteur essentiel de l'économie mondiale.

L'économie européenne est donc forte, et nous pensons qu'une économie forte a pour corollaire naturel une monnaie forte. Dans une période de vive croissance mais où des risques substantiels demeurent, la stabilité des marchés financiers internationaux et une configuration des taux de change adaptée aux fondamentaux économiques doivent rester au cœur des préoccupations de la communauté internationale.

Quelques mots pour conclure. Nous avons tous le sentiment, ici, que le FMI et la Banque Mondiale ont réalisé un travail utile. Or ce travail est peu perçu ou mal perçu. Parfois même - et de plus en plus, - ces institutions sont jugées comme responsables des déséquilibres et de la pauvreté qu'elles ont pour tâche de combattre. Nous avons notre responsabilité dans cette situation : il est bien commode pour nous de les prendre comme boucs émissaires alors que, nous le savons bien, ils agissent en général sur la base de l'unanimité et parce que nous, politiques, le voulons bien. Prenons donc nos responsabilités. Et surtout popularisons la vérité : pour les pays les plus pauvres, très peu de ce qui a été fait l'aurait été sans les institutions financières internationales. Corrigeons ce qui doit être corrigé. Mais assumons ce que nous faisons. Et surtout ne croyons pas qu'on peut décider à l'abri des regards et des opinions. Cette transparence que nous réclamons des autres, appliquons là à nous-mêmes. Ecoutons. Délibérons. Dialoguons. Agissons. Contrôlons et informons.

Je vous remercie.