Pourquoi il faut réformer la tarification de l’eau

Par David Lipton, Premier Directeur général adjoint du FMI
Affiché le 22 mars 2016 par le blog du FMI

L’une des premières énigmes auxquelles les étudiants en économie sont confrontés est le paradoxe de l’eau et du diamant. Comment se fait-il que l’eau soit gratuite, alors que la vie ne peut pas exister sans elle, tandis que les diamants valent des fortunes, alors que le manque de diamant n’est pas mortel?

La réponse est la suivante : l’eau peut être gratuite, si l’offre est abondante par rapport à la demande. Cependant, il est bien évident qu’à l’échelle mondiale, la demande d’eau est bien supérieure à l’offre. Ce déséquilibre est la meilleure preuve que le prix de l’eau est sous-estimé. Et pourtant, les pouvoirs publics ne sont guère enclins à tarifier l’eau comme les autres biens de consommation.

Dans une récente étude, des économistes cherchent à déterminer si ce choix est le bon. Les gouvernants protègent-il leurs citoyens en leur fournissant de l’eau à bon marché? En cette Journée mondiale de l’eau, essayons d’approfondir cette question.

Rôle de l’incitation par les prix

En fait, si la politique de tarification de l’eau n’est pas la bonne, on aboutit à une mauvaise répartition des ressources dans le présent et dans le futur. Dans le présent, les conséquences peuvent être multiples : assoiffement, faible productivité agricole ou, pire encore, déficience de l’assainissement, maladies et malnutrition. Dans le futur, cela peut se solder par un déficit d’investissements dans les infrastructures et les technologies nécessaires pour satisfaire les besoins en eau et assurer la sécurité hydrique.

Tout cela est suffisamment lourd de conséquences pour la santé macroéconomique et la croissance. La nécessité de «fixer le juste prix» s’impose au vu de la situation que l’on peut constater de par le monde. Prenons le cas de l’Inde , où les prix trop bas de l’eau et des intrants contribuent à la pénurie aujourd’hui et posent des problèmes à long terme qu’il sera difficile de résoudre. Le subventionnement de l’eau — grâce au bas prix du diésel et à la gratuité de l’électricité pour le pompage et l’irrigation — a causé une surexploitation de la nappe phréatique et un accroissement de la salinité des sols, qui a failli réduire à néant les gains de productivité de la révolution verte des années 1960.

Autre exemple, la Californie, où le Gouverneur Jerry Brown a pris à la mi-2014 une ordonnance imposant une réduction de 25 % de la consommation d’eau au cours des 12 mois suivants, par rapport au niveau de 2013. La grave pénurie d’eau constatée en Californie avait de multiples causes, y compris des sécheresses extrêmes et des hausses de températures sans précédent, mais la sous-évaluation du prix de l’eau pendant plusieurs décennies y était aussi pour quelque chose. Cela démontre amplement que l’incitation par les prix peut jouer un rôle important dans la rationalisation de la consommation d’eau.

Il y a bien d’autres exemples de par le monde qui montrent que là sous-évaluation du prix de l’eau peut déclencher le scénario classique de la «tragédie des biens communs», où les différents utilisateurs exploitent les ressources indépendamment et rationnellement, en fonction de leur intérêt propre, et épuisent ce faisant les ressources, ce qui va à l’encontre du bien commun de toutes les parties prenantes. L’épuisement rapide de la nappe phréatique, la dégradation de la qualité de l’eau et les réformes de la tarification peuvent avoir des effets très positifs sur l’efficacité et la productivité de la consommation d’eau.

La partie émergée de l’iceberg

Dans nombre de pays, les organismes de gestion de l’eau la facturent aux ménages à un prix qui ne représente qu’une fraction du coût du service, sans parler de celui de l’entretien ou du développement des infrastructures.

D’après les calculs des économistes du FMI, en 2012, cette sous-facturation de l’eau équivalait à une subvention totalisant environ 456 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit environ 0,6 du PIB global. Dans certains pays, les subventions atteignaient 5 % du PIB. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, car ces estimations ne tiennent pas compte de l’utilisation agricole de l’eau, qui constitue l’essentiel de la consommation dans les pays en développement.

Les subventions de l’eau ont même dépassé le total des dépenses d’investissements publics dans certains pays (graphique 1) — évinçant donc probablement d’autres dépenses utiles.

graphique 1

Le subventionnement de l’eau serait défendable s’il améliorait le sort des plus démunis. Mais notre étude montre que les subventions ne sont pas équitables et n’atteignent pas l’objectif annoncé.

Puisque la subvention est proportionnelle à la consommation d’eau et puisque les pauvres n’y ont souvent que peu ou pas du tout accès, ce sont principalement les consommateurs se situant dans les tranches supérieures de revenu qui en bénéficient. Dans un échantillon de pays à faible revenu, les ménages les plus aisés bénéficient en moyenne d’une subvention de trois dollars sur leur consommation d’eau, contre un dollar pour les plus pauvres (graphique 2).

graphique 2

Fixer le juste prix de l’eau et l’utiliser à bon escient

Alors quelle est la solution? Pour que la consommation d’eau soit plus efficace, il faut une démarche globale accompagnée de réformes qui encadrent — directement ou indirectement — l’utilisation de cette ressource. Les pouvoirs publics pourraient instituer une réglementation qui renforce les droits d’accès à l’eau et en promeut l’utilisation efficace, créer des institutions solides et indépendantes de gestion de l’eau et mener des campagnes de sensibilisation pour rallier le soutien de l’opinion publique pour ces réformes.

La réforme de la tarification de l’eau doit faire partie intégrante des efforts visant à améliorer la gestion de l’eau, à rationaliser la demande, à améliorer la distribution et à accroître les ressources. Les pouvoirs publics devront faire en sorte que le prix de l’eau permette le recouvrement de l’intégralité des coûts, y compris d’entretien et d’investissements. Il convient aussi de structurer la tarification de manière à élargir l’accès à l’eau des plus démunis et défavorisés.

Prenons par exemple le cas du Burkina Faso. Ce pays a mis en place un barème progressif de l’eau potable en fonction du volume de la consommation, si bien que les plus gros utilisateurs subventionnent la tranche inférieure, ainsi que les services d’assainissement. La compagnie nationale des eaux affiche un taux de recouvrement de 97 %, est très peu endettée et engrange des bénéfices chaque année. Grâce à la réforme tarifaire, l’accès à l’eau potable a doublé au cours des vingt dernières années — progrès remarquable dans un pays où l’eau est rare et la pluviosité très variable.

Pourquoi le FMI s’intéresse-t-il à ce sujet? Il est clair que les défis liés à l’eau ont des conséquences économiques qui doivent être gérées convenablement, faute de quoi elles peuvent grever l’avenir de l’économie nationale. Notre espoir en étudiant la dimension

économique du dossier est d’apporter un éclairage sur ce sujet important. Comme l’ont montré les difficultés rencontrées en Californie, le monde ne peut guère se permettre le luxe d’atermoyer.

Pour plus d’informations, voir l’illustration infographique, et l’article intitulé «Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein» dans l’édition de juin 2015 de Finances & Développement.

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M. David Lipton est Premier Directeur général adjoint du Fonds monétaire international depuis le 1er septembre 2011. Il avait auparavant été nommé Conseiller spécial de la Directrice générale à compter du 26 juillet 2011.

Avant de rejoindre le FMI, M. Lipton était Assistant spécial du Président des États-Unis et avait occupé les fonctions de Directeur principal des Affaires économiques internationales au Conseil national économique et au Conseil national de sécurité à la Maison-Blanche.

Auparavant, M. Lipton avait été Directeur général de Citi, où il dirigeait la Division de la gestion des risques mondiaux. Dans ces fonctions, il présidait le Comité des risques pays de Citi, travaillait pour le Responsable principal des risques et conseillait la direction en matière de risques mondiaux. Avant d’entrer chez Citi en mai 2005, il avait passé cinq ans chez Moore Capital Management, un fonds de couverture mondial et, précédemment, un an à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

M. Lipton a travaillé au Département du Trésor sous l’administration Clinton, de 1993 à 1998. En qualité de Secrétaire assistant, puis de Sous-secrétaire du Trésor pour les Affaires internationales, M. Lipton a fait partie de l’équipe qui a orchestré la riposte à la crise financière asiatique et les efforts de modernisation de l’architecture financière internationale. Avant de rejoindre l’administration Clinton, M. Lipton était maître de recherche au Centre de hautes études Woodrow Wilson.

De 1989 à 1992, il a fait équipe avec Jeffrey Sachs, alors Professeur à l’université Harvard, en qualité de conseillers économiques auprès des gouvernements de la Russie, de la Pologne et de la Slovénie durant leur transition vers le capitalisme.

M. Lipton a commencé sa carrière par huit années de service au FMI, où il travaillait sur les problèmes de stabilisation économique dans les pays émergents et les pays pauvres. Il a obtenu un doctorat et une maîtrise de l’université Harvard en 1982 et une licence de la Wesleyan University en 1975.



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