Des mesures énergiques sont indispensables pour déjouer le piège de la croissance lente

Par Christine Lagarde, Directrice générale du FMI
Affiché le 1er septembre 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

L’anémie de la croissance, les inégalités flagrantes et les lents progrès des réformes structurelles sont au nombre des questions que les dirigeants du G20 vont évoquer à Hangzhou (Chine) ce weekend. Cette réunion survient à un moment important pour l’économie mondiale. Le balancier politique risque de peser au détriment de l’ouverture économique et, sans un sursaut énergique, le monde risque d’être affligé pour longtemps d’une croissance décevante.


L’année 2016 sera la cinquième d’affilée où le taux de croissance du PIB aura été inférieur à sa moyenne à long terme de 3,7 % (1990-2007), et 2017 pourrait bien être la sixième (Graphique 1). L’économie mondiale n’a jamais été si anémique si longtemps depuis le début des années 1990 — ère de transition économique qui a causé le ralentissement de la croissance. Que s’est-il passé?

Dans les pays avancés, le taux de croissance réel est presque inférieur d’un point de pourcentage à la moyenne de la période 1990-2007.

• Nombreux sont ceux qui souffrent encore des séquelles de la crise, telles que le surendettement des secteurs public et privé et le déséquilibre des bilans des institutions financières. Il en résulte une demande obstinément faible.

• Plus cette demande anémiée persiste, plus elle menace de nuire à la croissance à long terme, car les entreprises réduisent leurs capacités de production et les travailleurs privés d’emplois abandonnent la vie active, d’où la déperdition de compétences cruciales. La faiblesse de la demande pèse aussi sur les échanges commerciaux, ce qui s’ajoute à la progression décevante de la productivité.

• Sur le plan de l’offre, le déclin de la productivité et les tendances démographiques défavorables grèvent la croissance potentielle — tendance qui s’est amorcée avant le début de la crise financière mondiale. Et comme il est peu probable que la croissance se raffermisse dans le proche avenir, les entreprises sont encore moins enclines à investir, ce qui nuit à la productivité et assombrit les perspectives de croissance à court terme.

La progression des pays émergents s’est aussi ralentie — mais par rapport à leur rythme de croissance exceptionnellement rapide des dix dernières années. Ce ralentissement est donc plutôt le signe d’un retour à la norme historique. Les tendances sont très diverses au sein des pays émergents. En 2015, par exemple, le rythme de progression du PIB de deux des plus grands pays — la Chine et l’Inde — a atteint 7-7½ %, alors qu’il chuté de près de 4 % en Russie et au Brésil. Mais il y a des facteurs communs importants :

• Premier facteur : le basculement du modèle de croissance chinois, de l’investissement vers la consommation et de la demande extérieure vers la demande intérieure. Si l’expansion sans heurt de l’économie de la Chine est au bout du compte une bonne chose pour l’économie mondiale, la transition coûte cher à ses partenaires commerciaux, qui ont besoin de la demande chinoise pour écouler leurs exportations. Elle pourrait aussi à la longue causer des accès de fébrilité sur les marchés financiers.


Deuxième facteur : la forte baisse des cours des matières premières
, qui a porté un coup dur au revenu disponible des pays exportateurs de matières premières. L’ajustement de ces pays à la nouvelle réalité sera difficile et demandera du temps. Dans certains cas, il leur faudra repenser leur modèle de croissance.

La faiblesse de la croissance mondiale, à laquelle s’ajoute l’aggravation des inégalités, nourrit un climat politique qui sape l’élan des réformes et pousse les pays à se replier sur eux-mêmes. Dans un vaste échantillon de pays avancés, les revenus des 10 % les plus riches ont progressé d’environ 40 % au cours des 20 dernières années, alors que ceux des déciles inférieurs se sont très peu améliorés (Graphique 2). Les inégalités se sont aussi creusées dans beaucoup de pays émergents, mais l’impact sur les plus démunis a parfois été compensé par une forte progression générale des revenus.

Des mesures énergiques sont indispensables pour déjouer le piège de la croissance lente dans lequel, je le crains, le monde risque de basculer. Voici les éléments primordiaux qui devraient, à mon sens, constituer l’armature d’un plan de redressement de la croissance mondiale :

• Premier élément : le soutien de la demande dans les pays où l’économie ne fonctionne pas à pleine capacité. Ces dernières années, cette tâche a été déléguée pour l’essentiel aux banques centrales. Mais la politique monétaire n’offre plus guère de marge de manœuvre, car plusieurs banques centrales travaillent déjà à la limite inférieure ou presque de leur fourchette de taux directeurs. Cela signifie que la politique budgétaire doit prendre le relais. Là où des marges de manœuvre existent, le moment est venu de tirer parti du niveau exceptionnellement bas des taux d’intérêt pour doper les investissements publics et moderniser les infrastructures.

• Deuxième élément : les réformes structurelles. Les pays ne sont pas suffisamment actifs dans ce domaine. Il y a deux ans, les pays membres du G-20 ont pris l’engagement de mener des réformes qui auraient pour résultat une expansion supplémentaire de leur PIB collectif de 2 % sur 5 ans. Mais d’après les plus récentes estimations, les mesures mises en œuvre jusqu’à présent ont produit au mieux la moitié de l’impulsion prévue — ce qui double l’urgence de ces réformes. D’après les études du FMI, les réformes donnent les meilleurs résultats lorsqu’elles sont axées en priorité sur les domaines où les lacunes sont les plus flagrantes et tiennent compte du niveau de développement et de la situation des pays dans le cycle conjoncturel.

• Troisième élément : la relance des échanges, qui passe par une réduction des frais commerciaux et l’abaissement temporaire des barrières tarifaires. Il est facile d’accuser le commerce de tous les maux qui affligent un pays, mais si l’on entrave le libre échange, on risque de briser la dynamique qui a rendu possible une amélioration sans précédent du bien-être dans le monde entier pendant plusieurs décennies. Mais pour que le commerce profite à tous, les gouvernants doivent venir en aide à ceux qui sont les plus touchés, en promouvant les formations alternatives, le développement des compétences et la mobilité professionnelle et géographique.

• Enfin, il importe de faire en sorte que la croissance soit plus largement partagée. Il faut structurer la fiscalité et le système de prestations de manière à doper les revenus les plus bas et à récompenser le travail. Dans beaucoup de pays émergents, il est nécessaire de perfectionner les systèmes de protection sociale. Les investissements dans l’éducation peuvent améliorer la productivité et les perspectives d’avenir des travailleurs à bas salaires.

Il faut du courage politique pour mettre en œuvre ce programme d’action. Mais ne rien faire, c’est risquer de remettre en cause l’intégration économique mondiale et donc de casser la dynamique qui, pendant des décennies, a produit et propagé de la richesse dans le monde entier. Personnellement, je crois que c’est un risque exorbitant.

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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international. Elle a été nommée à ce poste en juillet 2011. Ressortissante française, elle a été ministre des finances de la France en juin 2007 et a aussi occupé les fonctions de ministre du commerce extérieur pendant deux ans.

Madame Lagarde a aussi fait une carrière variée et prestigieuse en qualité d’associée spécialiste en droit de la concurrence et du travail au cabinet d’avocats international Baker & McKenzie dont elle est devenue présidente du Comité exécutif en octobre 1999. Elle a dirigé cette société jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’ Institut d’études politiques et de la Faculté de droit de l’Université Paris X, où elle a également enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.



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