Le coût des conflits au Moyen-Orient

Par Christine Lagarde, Directrice générale du FMI
Affiché le 16 septembre 2016 par le blog du FMI - iMFdirect

Cette semaine, tandis que les principaux dirigeants mondiaux se rendent à New-York pour assister à l'Assemblée générale des Nations Unies, nous voyons défiler sans cesse les images de villes ravagées par la guerre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ainsi que d’exode massif de populations à la recherche d’un sanctuaire et de possibilités de subsister.

Cette région compte plus de 20 millions de personnes déplacées auxquelles s'ajoutent 10 millions de réfugiés — un désastre sans précédent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il est difficile de se rendre compte de l’immensité des coûts humains de ces conflits.

Les conséquences économiques sont considérables aussi. Une bonne partie du capital productif dans les zones de conflit a été détruite, les pertes de richesses personnelles et de revenus sont énormes, et le capital humain se détériore du fait du manque d’emploi et d’éducation.

Il sera demandé au FMI, ainsi qu’à la communauté internationale, de contribuer à la reconstruction des économies lorsque les conflits prendront fin. Nous avons donc examiné plus en détail les problèmes économiques que ces conflits entraînent, ainsi que les possibilités qui s’offrent aux dirigeants pour gérer le redressement post-conflit.

Permettez-moi de citer trois conclusions importantes d’une étude des services du FMI qui a été publiée aujourd’hui.

Premièrement, le coût économique des conflits est considérable . Outre la perte tragique de vies humaines et les destructions matérielles, la guerre et les luttes intestines dans des pays comme l'Irak, la Libye, la Syrie et le Yémen ont encore augmenté le niveau, déjà élevé, de la pauvreté et du chômage; elles les ont aussi rendus encore plus fragiles, effaçant pour une génération entière les progrès antérieurs du développement. En Syrie, par exemple, le taux de décrochage scolaire a atteint 52 % en 2013 et l'espérance de vie est passée de 76 à 56 ans.

Les conflits ont aussi accéléré l'inflation, dégradé la situation budgétaire et financière, entraîné de graves récessions et affaibli les institutions. En Syrie, par exemple, après quatre années de combats acharnés, le PIB est estimée à moins de la moitié du niveau de 2010, avant le conflit, tandis que l'inflation a bondi à près de 300 % en mai 2015 (dernier mois pour lequel des données sont disponibles). Au Yémen, pendant la seule année 2015, le PIB aurait baissé de 25 à 35 %. Ces chiffres donnent le vertige. Les conflits laissent des traces profondes. Nous estimons que, même avec un taux de croissance annuel relativement élevé (4,5 %), il faudrait plus de 20 ans à la Syrie pour retrouver seulement son PIB de 2010.

Les conflits débordent les frontières nationales. Ils ont de sérieuses répercussions sur les pays voisins tels que la Jordanie, le Liban, la Tunisie et la Turquie ainsi qu'au-delà (voir graphique). Ces pays sont confrontés à des degrés divers à la difficulté d'accueillir l'afflux de réfugiés, mais aussi à l'affaiblissement de la confiance, de la sécurité et de la cohésion sociale. Tout cela pèse sur la qualité des institutions et leur aptitude à entreprendre des réformes économiques indispensables.

Deuxièmement, des mesures appropriées peuvent limiter l'incidence immédiate d'un conflit :

  • Sauvegarder les institutions économiques . L'expérience montre qu'en temps de guerre, assurer la continuité des institutions administratives essentielles -- par exemple les agences budgétaires et la banque centrale -- permet le maintien de services vitaux pour la population. Elles versent des salaires, assurent les services de santé et d'autres encore.

  • Fixer des priorités de dépenses . Les conflits aggravent les tensions budgétaires. Les charges de sécurité et de défense augmentent au moment où les recettes chutent. Dans ces conditions, il est indispensable de hiérarchiser les dépenses pour maintenir les services essentiels, dont la fourniture d'abris, qui protègent les plus vulnérables.

  • Assurer la stabilité macroéconomique . Les déséquilibres budgétaires et extérieurs augmentent pendant les conflits, et les banques centrales tendent à jouer un plus grand rôle dans le financement des États et de l'activité économique, comme cela s’est passé au Yémen et en Libye. Il est possible que l’accélération de l’inflation et la baisse des réserves de change qui en résultent exigent de recourir à des instruments non traditionnels et à des mesures administratives pour maintenir un certain degré de contrôle macroéconomique.

    Troisièmement, les partenaires extérieurs, dont le FMI, doivent tous aider les pays à faire face aux conflits et, finalement, à en surmonter les conséquences . La priorité est d'atténuer la souffrance humaine et de satisfaire les besoins pressants des victimes des conflits.

Le FMI a largement contribué à cet effort — par exemple en prévoyant des dépenses pour l’accueil des réfugiés ou des dépenses de sécurité dans nos programmes avec l’Irak, la Jordanie et la Tunisie, et en offrant des conseils et des activités de renforcement des capacités dans toute la région.

Nous espérons aussi catalyser un soutien supplémentaire des donateurs pour les pays accueillant des réfugiés. Lors de la conférence sur l’aide à la Syrie et à la région qui s’est déroulée à Londres en février dernier, les donateurs se sont engagés à financer les activités humanitaires et de développement à hauteur de 5,9 et de 5,5 millions de dollars pour 2016 et 2017–20, respectivement. Même si toutes ces promesses sont tenues, cela ne suffira pas, compte tenu de l'ampleur de la crise. Par ailleurs, tous les financements devraient prendre la forme de dons et de prêts concessionnels pour réduire la charge financière des pays bénéficiaires.

À plus long terme, la priorité est d'accroître l'aide au développement afin de reconstruire les infrastructures et les institutions et, plus largement, de renforcer la résilience économique et sociale de toute la région. Sur ce point aussi, le FMI est prêt à apporter son aide — avec un arsenal d’outils macroéconomiques et une expérience acquise au fil de nombreuses années de travail dans des zones post-conflit de par le monde.

La communauté internationale a la responsabilité majeure d'aider les pays de la région à faire face cette situation. Nous sommes prêts à jouer notre rôle.

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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international depuis juillet 2011. De nationalité française, elle exerçait auparavant, depuis juin 2007, la fonction de Ministre des finances en France. Elle a aussi été Ministre du commerce extérieur pendant deux ans.

Par ailleurs, Mme Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d'avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d'associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l'est restée jusqu'en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l'Institut d'études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l'université Paris X où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.



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