Fintech : des bienfaits à exploiter, des risques à éviter

Christine Lagarde
Le 19 juin 2017
Panneaux d’un magasin de Guangzhou, en Chine, qui annoncent différents moyens de paiements par téléphone mobile (Imagine China/Newscom)

Finie l’époque des enveloppes «air mail» et des timbres colorés nécessaires à l’envoi de courrier à l’étranger. Il suffit d’un clic pour envoyer un e-mail, que le destinataire se trouve à deux pâtés de maison ou à l’autre bout du monde.

Cela ne vaut pas pour les paiements à l’international, pour lesquels la destination demeure un paramètre important. C’est ainsi que l’on peut utiliser du liquide pour payer sa tasse de thé au coin de la rue, mais pas pour commander des feuilles de thé en provenance de Sri Lanka. D’ailleurs, en fonction du transporteur, le thé sera peut-être arrivé chez le client avant que le vendeur ne soit payé.

Tout cela pourrait bientôt changer. Dans quelques années, il pourrait être aussi simple d’effectuer des paiements ou des transactions à l’international que d’envoyer un e-mail.

La technologie financière, ou «Fintech», touche déjà les consommateurs et les entreprises un peu partout. Depuis la petite entreprise qui sollicite un emprunt jusqu’au ménage qui programme sa retraite, en passant par le travailleur migrant qui envoie des fonds dans son pays d’origine.

Mais peut-on exploiter le potentiel de cette évolution tout en se préparant aux changements qu’elle implique? C’est précisément l’objet du document publié aujourd’hui par les services du FMI, intitulé Fintech and Financial Services: Initial Considerations (Fintech et services financiers : réflexion initiale).

Les possibilités de la Fintech

Mais qu’est-ce que la Fintech au juste? Pour faire simple, il s’agit d’un ensemble de nouvelles technologies dont les applications sont susceptibles d’affecter les services financiers, parmi lesquelles l’intelligence artificielle, le big data, la biométrie et les technologies des registres distribués telles que les chaînes de blocs.

Si nous encourageons l’innovation, nous devons également veiller à ce que les nouvelles technologies ne deviennent pas des vecteurs de fraude, de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, et qu’elles ne mettent pas la stabilité financière en péril.

Même si les révolutions technologiques sont imprévisibles, nous pouvons d’ores et déjà adopter des mesures pour nous y préparer.

La nouvelle étude du FMI se penche sur l’impact potentiel des technologies innovantes sur les types de services offerts par les établissements financiers, sur la structure et l’interaction au sein de ces firmes, et sur la façon dont les régulateurs peuvent répondre.

Comme le montre notre document, la Fintech renferme la promesse de services financiers plus rapides, moins chers, plus transparents et plus simples à utiliser pour des millions de personnes à travers le monde.

Les perspectives sont encourageantes.

• Combinée au big data, l’intelligence artificielle pourrait automatiser les évaluations de solvabilité des emprunteurs afin que les particuliers et les entreprises obtiennent des taux d’intérêt plus compétitifs sur leurs prêts.

• Des «contrats intelligents» permettraient aux investisseurs de vendre des actifs donnés lorsque certaines conditions de marché prédéfinies sont remplies, pour une optimisation des transactions.

• Grâce à la technologie des registres distribués, les utilisateurs de téléphones mobiles du monde entier auraient la possibilité de s’acheter et se vendre des biens et des services sans passer par la case banque. Commander des feuilles de thé à l’autre bout du monde pourrait devenir aussi simple que payer sa tasse de thé au coin de la rue.

Ces possibilités sont susceptibles de redessiner le paysage financier dans une certaine mesure, mais elles supposent également des risques.

Omniprésents dans les services financiers, les intermédiaires, tels que les banques, les établissements spécialisés dans les services de messagerie et les correspondants bancaires assurant la compensation et le règlement des transactions transfrontalières, seront soumis à une rude concurrence.

Les nouvelles technologies, telles que la vérification d’identité et de comptes, pourraient réduire les coûts des transactions et fournir plus d’informations sur les contreparties, réduisant ainsi l’importance de ces acteurs. Les intermédiaires existants pourraient être contraints de se spécialiser et de délocaliser certaines tâches bien définies à des entreprises technologiques. Cela pourrait s’étendre aux procédures de vigilance à l’égard de la clientèle.

Mais au vu de l’automatisation croissante des services, comment ignorer les progrès technologiques susceptibles de menacer l’identité des consommateurs ou d’engendrer de nouvelles sources d’instabilité sur les marchés financiers?

Les règles qui fonctionneront bien dans ce nouvel environnement ne ressembleront pas nécessairement à celles qui sont aujourd’hui en vigueur. Notre défi tient donc en une question : comment élaborer de nouvelles règlementations efficaces adaptées au nouveau système?

Réglementer sans museler l’innovation

En premier lieu, la supervision doit être repensée. Aujourd’hui, les régulateurs se centrent essentiellement sur des entités bien définies, comme les banques, les compagnies d’assurance et les courtiers. Ils vont probablement être amenés à compléter cette surveillance en accordant davantage d’attention à des services spécifiques, indépendamment du profil des acteurs du marché qui les proposent. Il faudra établir des règles pour préserver les intérêts des consommateurs, notamment en matière de protection de la confidentialité, et pour faire barrage au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.

Ensuite, cette démarche passera nécessairement par une coopération à l’échelle internationale tant il est vrai que le progrès ne connaît pas de frontières. De même, il sera important d’empêcher les réseaux de se tourner vers des juridictions à la réglementation plus permissive. Il conviendra également d’établir de nouvelles règles visant à clarifier le statut juridique, et les droits de propriété des actifs et jetons numériques.

Enfin, la réglementation doit continuer de faire office de bouclier incontournable pour asseoir la confiance en la stabilité et la sécurité des réseaux et des algorithmes.

La publication de notre document aujourd’hui constitue l’une des étapes du processus de préparation à cette nouvelle révolution numérique. Organisation d’envergure mondiale, le FMI est exceptionnellement bien placé pour servir de trait d’union entre les secteurs privé et public sur la question de la Fintech, domaine qui progresse à grands pas.

Comme le montre notre étude, l’adaptation est non seulement une possibilité, mais aussi la seule façon de garantir que la promesse de la Fintech profite à toutes et à tous.

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Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des Finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre d’État chargée du Commerce extérieur pendant deux ans.

Par ailleurs, Mme Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.



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