Impôts, dette et développement : une règle de 1 % pour accroître les recettes en Afrique

Par Vitor Gaspar et Abebe Aemro Sélassié
5 décembre 2017

Des écoliers au Ghana : renforcer les capacités fiscales d’un pays aide pour financer l’éducation et les soins de santé (photo: Vacca Sintesi/SIPA/Newscom)

Les recettes fiscales sont importantes pour dégager une marge de manœuvre budgétaire qui permet d’augmenter les dépenses consacrées aux services sociaux tels que la santé et l’éducation, ainsi que l’investissement public. Face à la nette augmentation de la dette publique en Afrique subsaharienne, une hausse des recettes fiscales constitue le moyen de stabiliser la dette qui est le plus propice à la croissance. De manière plus générale, le renforcement des capacités fiscales d’un pays se trouve au cœur de toute stratégie de développement viable ayant pour objectif de satisfaire les besoins permanents d’expansion des services d’éducation et de santé, ainsi que pour combler les déficits d’infrastructures considérables.

Si nos conseils seront toujours propres à chaque pays et à chaque contexte, nous considérons que bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne pourraient accroître leurs recettes fiscales d’environ 1 % de leur PIB par an au cours des cinq prochaines années. Si cet objectif est ambitieux, l’expérience dans la région et ailleurs montre qu’il est réalisable d’une manière viable et propice à l’activité économique. Une amélioration des capacités nationales de recouvrement des impôts et des autres recettes constitue un objectif que les pays ont arrêté dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations Unies (objectif 17). 

Structures de la fiscalité en Afrique subsaharienne

En moyenne, les recettes fiscales non liées aux ressources naturelles ont augmenté dans la région au cours des dernières années, mais elles restent faibles par rapport aux normes internationales et aux besoins considérables de dépenses de développement de la région.

La structure de la fiscalité est importante aussi. À l’heure actuelle, au contraire de ce que l’on observe dans les pays avancés, la part des impôts sur le revenu des personnes physiques est relativement faible dans la région, tandis que celle des impôts sur la consommation est plus élevée. Au fil du temps, avec l’augmentation des revenus, et à mesure qu’une plus grande partie de l’activité économique relève du secteur formel, un pays peut s’attendre à une hausse de la part des impôts sur le revenu dans les recettes recouvrées.

C’est la tendance à long terme qui est observée dans les pays avancés, où la part des impôts modernes, qui incluent les impôts sur le revenu et la TVA, a augmenté, tandis que celle des impôts traditionnels (y compris droits de succession, accises et taxes sur les ventes, droits de douane) a diminué.

Nous constatons une tendance similaire en Afrique subsaharienne. Par exemple, au Ghana, l’importance relative des recettes tirées des impôts traditionnels a diminué au cours des 25 dernières années : leur part dans le total des recettes fiscales est tombée d’environ 75 à moins de 40 %. La distinction principale entre ces deux types d’impôts est que les impôts modernes s’appuient sur des informations de tiers, par exemple employeurs, banques, fonds de placement et de pension, tandis que les impôts traditionnels, qui reposent sur des déclarations spontanées, exigent moins d’informations et sont plus faciles à gérer.

L’avenir, c’est aujourd’hui

Comme il faut du temps pour renforcer les capacités de recouvrement des impôts sur le revenu des personnes physiques, la TVA et les accises offrent probablement le plus gros potentiel de recettes supplémentaires pour les quelques prochaines années. Par exemple, selon des études récentes du FMI, la TVA représente un potentiel de recettes d’environ 3 % du PIB au Cabo Verde, au Sénégal et en Ouganda, et les accises, ½ % du PIB pour tous les pays d’Afrique subsaharienne. Des réformes de la conception des régimes fiscaux des industries extractives telles que le pétrole et le gaz pourrait aider les pays à se procurer davantage de recettes sans compromettre l’investissement. 

L'impact de la politique budgétaire sur la distribution du revenu vient à la fois des dépenses et des impôts. Dans les pays où la politique budgétaire a un effet significatif sur la réduction des inégalités, l’effet tient essentiellement aux dépenses. C’est particulièrement important dès lors qu’il s’agit d’évaluer la TVA. Si cette dernière peut être régressive, son impact global sur les inégalités est probablement favorable si les recettes sont utilisées pour financer des dépenses et des programmes sociaux en faveur des groupes à plus bas revenu.

Il est important aussi de prendre en considération de nouvelles sources de recettes, telles que les impôts fonciers. À l’heure actuelle, la contribution de ces derniers est très faible, au maximum ½ % du PIB. En plus des recettes considérables qu’ils pourraient apporter, les impôts fonciers peuvent être utilisés comme instrument de redistribution. Ils sont équitables et efficients, mais pour qu’ils soient bien conçus et bien mis en œuvre, les capacités administratives sont importantes. Lorsqu’un impôt foncier typique n’est pas viable, il peut être remplacé par un système simplifié, basé sur la superficie par exemple. En outre, l’utilisation de nouvelles technologies pour inventorier et recouvrer les impôts offre de nombreuses possibilités de passer sans transition à de meilleurs systèmes fiscaux.

Au-delà de la nécessité de recalibrer les impôts actuels et d’en envisager de nouveaux, plusieurs autres facteurs empêchent les pays d’Afrique subsaharienne de réaliser leur potentiel fiscal :

• Des lacunes manifestes existent dans les domaines de la conception de la politique fiscale, les cadres juridique et réglementaire, ainsi que l’administration, par exemple l’usage excessif des exemptions et incitations fiscales, ainsi que l’érosion de l’assiette fiscale et le transfert de bénéfices en dehors de la région.

• La qualité médiocre de la rédaction des textes juridiques entraîne des interprétations arbitraires des règles en vigueur et accroît le coût de l’observance.

• Le manque d’audits fondés sur les risques, la mauvaise coordination entre les administrations des impôts et des douanes, le faible niveau de dépôt des déclarations d’impôts, l’usage limité des technologies modernes et l’inefficacité des services aux contribuables révèlent des lacunes considérables dans l’administration fiscale.

Face à ces lacunes, le FMI, notamment par l’intermédiaire de ses centres régionaux d’assistance technique, collabore avec les pays pour établir des stratégies de mobilisation de recettes à moyen terme. Le concept a été établi et proposé par la Plateforme de collaboration sur les questions fiscales, et constitue une feuille de route de haut niveau que les pays peuvent utiliser pour réformer leur système fiscal sur un horizon de quatre à six ans.

Cette approche considère la fiscalité comme un système qui couvre la politique, la législation et l’administration. Les stratégies de mobilisation des recettes à moyen terme reposent sur un large engagement social et politique à réformer le système fiscal. Ces stratégies, qui sont conçues en partenariat étroit avec les pays, établissent des objectifs quantitatifs clairs pour les recettes fiscales à moyen terme. Un petit nombre de pays, parmi lesquels l’Ouganda et l’Indonésie, ont déjà commencé à établir leur stratégie.

Il est souvent difficile d’un point de vue politique d’accroître les recettes. Mais étant donné la situation économique actuelle en Afrique subsaharienne, conjuguée aux besoins durables de développement, il est impératif d’agir maintenant.
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Vitor Gaspar, ressortissant portugais, est Directeur du Département des finances publiques du Fonds monétaire international. Avant de rejoindre le FMI, il a occupé différents postes de haut niveau à la Banque du Portugal, notamment en dernier lieu celui de conseiller spécial. De 2011 à 2013, il a été ministre des Finances du Portugal, avec rang de ministre d’État. Il a dirigé le Bureau des conseillers de politique européenne de la Commission européenne de 2007 à 2010, et été Directeur général des études à la Banque centrale européenne de 1998 à 2004. Vitor Gaspar est titulaire d’un doctorat et d’un diplôme postdoctoral en économie de l’Université nouvelle de Lisbonne; il a également étudié à l’Université catholique portugaise.


Abebe Aemro Sélassiéé est le Directeur du Département Afrique du FMI. Avant d’occuper ce poste il a été Directeur adjoint du Département et a dirigé des équipes des services du FMI chargées des relations avec le Portugal et l’Afrique du Sud et de la production des Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne. Il a en outre travaillé sur la Thaïlande, la Turquie et la Pologne, ainsi que sur un grand nombre de dossiers de politique générale. Entre 2006 et 2009 il a été Représentant résident du FMI en Ouganda. Avant de rejoindre le FMI, M. Selassie a travaillé pour le gouvernement éthiopien.



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