Aléas et possibilités pour le G-20 : une nouvelle donne ?

Christine Lagarde
Le 18 juillet 2018

Voitures à Jiangsu (Chine) en attente d’expédition à l’étranger. Les droits de douane entrés en vigueur ont réduit les commandes à l’exportation. (Photo : Imagine China/Newscom)

L’artiste Claude Monet a dit : « J’ai travaillé sans arrêt, car en ce moment la marée était juste au bon endroit. » Pendant la réunion, cette semaine, des ministres des finances du Groupe des Vingt sur les rives du Rio de la Plata à Buenos Aires, les participants devraient s'inspirer des paroles de Monet et profiter de la croissance mondiale avant que la marée baisse.

Le FMI a publié lundi sa mise à jour des Perspectives de l'économie mondiale qui confirme les prévisions d'avril de 3,9 % de croissance mondiale pour 2019. Mais c'est peut-être un point culminant. La croissance commence déjà à ralentir dans la zone euro, au Japon et au Royaume-Uni. La croissance américaine, stimulée par les récentes mesures de relance budgétaire, devrait se modérer à moyen terme. Dans les pays émergents, la croissance est maintenant plus inégale qu'en avril, en partie à cause de la hausse des prix du pétrole et des pressions monétaires.

Les ministres des finances du G-20 ont donc un ordre du jour chargé à l'approche de leur réunion en Argentine. Où devraient-ils concentrer leurs efforts ? Ils peuvent faire des progrès dans trois grands domaines cette semaine : le commerce mondial, les vulnérabilités des pays émergents et l'impact de la technologie sur l'emploi.

Commerce mondial

Les tensions commerciales laissent déjà des traces, mais l'ampleur des dégâts dépend de ce que les décideurs feront ensuite. En avril, le FMI a mis en garde contre les dommages économiques auto-infligés qui résultent des mesures protectionnistes. Malheureusement, ces avertissements sont devenus des réalités, et divers droits de douane et contre-droits sont entrés en vigueur le mois dernier. Les données récentes provenant d'Europe et d'Asie indiquent une diminution des nouvelles commandes à l'exportation et une perte de confiance parmi certains pays exportateurs de voitures, dont l'Allemagne.

Notre Note sur la surveillance pour le G-20, publiée aujourd'hui, simule quatre scénarios commerciaux pour l'économie mondiale. Selon un de ces scénarios, si tous les droits de douane actuellement annoncés entraient en vigueur, la production mondiale diminuerait de 0,1 % en 2020. Et si la confiance des investisseurs était ébranlée par ces tarifs douaniers, notre simulation montre que le PIB mondial pourrait diminuer de ½ % – soit environ 430 milliards de dollars – en dessous de la projection actuelle pour 2020. 

Notre analyse a également porté sur l'incidence par région. Alors que tous les pays se retrouveront finalement dans une situation pire en cas de conflit commercial, l'économie des États-Unis est particulièrement vulnérable parce qu'une grande partie de son commerce mondial fera l'objet de mesures de rétorsion. Et la diminution du PIB n'est pas le seul coût.

La tourmente des tensions commerciales risque de nous brouiller l’horizon. Comme je l'ai dit récemment, « l'avenir du commerce se confond avec l'avenir des données ». Une modernisation de la réglementation des échanges qui tienne compte des droits de propriété intellectuelle et l'adoption d'accords novateurs sur le commerce électronique et les services numériques devraient être au centre des discussions. Les dirigeants peuvent profiter de cette réunion du G-20 pour écarter les tarifs douaniers autodestructeurs et mettre au point des solutions multilatérales qui amélioreront le système commercial mondial.

Vulnérabilités des pays émergents

Les conflits commerciaux exacerbent également la situation déjà compliquée des pays émergents. Aux États-Unis, la hausse des taux d'intérêt a exercé des pressions sur de nombreux pays en développement, dont le Brésil et la Turquie. Au total, les investisseurs ont retiré plus de 14 milliards de dollars des pays émergents en mai et juin de cette année. Dans plusieurs de ces pays, les dirigeants ont réagi en relevant les taux d'intérêt, et certains sont intervenus directement pour soutenir leur monnaie nationale.

Jusqu'à présent, la pression se limite pour l’essentiel à quelques pays, et est loin d'être similaire au mouvement de panique lié aux rumeurs de réduction de l’impulsion monétaire par la Réserve fédérale en 2013. Cependant, à mesure que les taux d'intérêt américains continuent d'augmenter, un plus grand nombre de pays risquent de subir des pressions accrues. Que peuvent faire les pays émergents ? Utiliser tous les outils à leur disposition.

    ● Les taux de change devraient rester flexibles et servir d'amortisseurs pour aider les pays à mieux supporter la fuite de l'argent des investisseurs.

    ● Les autorités de réglementation devraient se coordonner en assurant la liquidité des marchés financiers, pour éviter qu’une expansion excessive du crédit ne déclenche une nouvelle crise.

    ● Étant donné les niveaux d'endettement élevés dans de nombreux pays, la politique budgétaire devrait servir à préserver et reconstituer les amortisseurs budgétaires là où c'est nécessaire.

Le FMI continuera de donner des directives à ce sujet, et nous sommes déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider nos pays membres à renforcer leur économie et à accroître leur résilience face aux vents contraires.

Impact de la technologie sur l'emploi

Même en faisant face aux menaces immédiates qui pèsent sur l'économie mondiale, nous ne pouvons pas nous permettre d'ignorer les problèmes à long terme – entre autres, l'impact de la technologie sur l'emploi. Les progrès de l'intelligence artificielle et de l'automatisation promettent d'augmenter la productivité et la croissance, mais que se passera-t-il ensuite ? Au fur et à mesure des pertes d’emploi, l'inégalité pourrait s'aggraver et le tissu social se détériorer.

Pour résoudre le problème, il faut d’abord comprendre son envergure. Notre nouveau document à l’intention du G-20 sur l'avenir du travail révèle que de nombreux pays n'ont pas une idée exacte de l’impact de la technologie sur la main-d’œuvre.

Les statistiques sur le marché du travail sont inadéquates à cause d’un manque d'informations sur l'étendue de l'économie « à la demande ». Entretemps, les estimations de notre productivité — la valeur que notre travail ajoute à l'économie — négligent souvent les diverses manières dont la technologie augmente l'efficience. Pensez à votre montre numérique, par exemple. Le mot montre ne représente pas complètement la valeur de l’objet. En 2018, votre montre peut également servir de téléphone portable, d’écran de cinéma, de navigateur et de supercalculateur. Nos statistiques passent parfois à côté de cette réalité.

Bien sûr, les meilleures mesures ne sont que des indications partielles. Toutes les nouvelles données ne serviront à rien si elles ne donnent pas lieu à des mesures audacieuses qui aident les citoyens à intégrer les conséquences de l'automatisation et à réagir aux perturbations issues des nouvelles technologies. Ces mesures comprennent la modernisation des filets de sécurité sociale, la réforme de l’éducation pour assurer un apprentissage tout au long de la vie et des investissements majeurs dans l'infrastructure numérique. Singapour, qui participe cette année au G-20, est un bon modèle. Depuis une dizaine d’années, Singapour considère l'infrastructure comme une priorité et possède aujourd'hui l'infrastructure numérique la plus avancée au monde.

Il est certain que chaque pays a des lacunes différentes à combler, mais une chose est évidente pour tous : il est grand temps de se préparer aux perturbations technologiques qui ne feront que s'accélérer dans les années à venir.

Je crois que nous pouvons gérer tous les problèmes auxquels l'économie mondiale est confrontée, et même les transformer en avantages, mais seulement si nous reconnaissons que cette période de croissance ne durera pas éternellement.

Chaque jour, lorsque la marée baisse, le bord de mer se découvre. La question qui se pose aux membres du G-20 est de savoir ce qu'ils décideront de construire le long de ce littoral… un système fragile et exposé aux tempêtes ou une base économique solide, aussi fiable que le roc ? Depuis la crise financière mondiale, il y a près de dix ans, les pays du G-20 ont constamment choisi cette dernière option et ont ainsi fait une différence positive pour des milliards de personnes dans le monde. J'espère que les ministres des finances poursuivront sur cette voie dans les jours à venir et profiteront au maximum de l'occasion qui leur est offerte à Buenos Aires.

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Christine Lagarde est directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a occupé auparavant le poste de ministre des finances de son pays entre juin 2007 et juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au commerce extérieur pendant deux ans.

Par ailleurs, Madame Lagarde a poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Madame Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant d'intégrer Baker & McKenzie en 1981.



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