Les crypto-actifs : pour une approche mesurée

Christine Lagarde
Le 16 avril 2018

Les entreprises du secteur de la santé analysent comment elles pourraient utiliser la technologie qui sous-tend les crypto-actifs pour garantir la confidentialité des données médicales (BSIphotos/Newscom).

L’engouement pour les crypto-actifs, dont le bitcoin, est comparable à la tulipomanie hollandaise du XVIIe siècle et à la bulle plus récente des sociétés « point-com ». Avec plus de 1 600 crypto-actifs en circulation, il paraît inévitable qu’un bon nombre d’entre eux ne survivent pas au phénomène de la destruction créatrice.

Dans mon blog du mois dernier, j’analysais le côté sombre des crypto-actifs, notamment leur utilisation possible dans le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ici, j’aborde plutôt les perspectives qu’ils ouvrent. Une analyse raisonnée des crypto-actifs ne devrait mener ni à leur condamnation irrévocable ni à leur apologie.

Tout comme une poignée de technologies issues de l’ère des « point-coms » ont littéralement transformé nos vies, les crypto-actifs qui survivront à la sélection naturelle pourraient transformer nos habitudes d’épargne, de placement et de paiement, d’où l’importance pour les décideurs de garder l’esprit ouvert et de travailler à l’élaboration d’un cadre réglementaire équitable qui, tout en réduisant les risques, laissera place à la créativité. J’ai d’ailleurs abordé cette question dans une allocution prononcée à l’invitation de la Banque d’Angleterre l’année dernière.

Quels avantages recèlent les crypto-actifs? Voici quelques réponses possibles :

Rapides et bon marché

● Les opérations en crypto-actifs sont rapides et bon marché, ce qui rend à certains égards ces actifs comparables à l’argent liquide. Certains services de paiement offrent déjà des transferts outre-mer dans des délais qui se calculent en heures plutôt qu’en jours. Les crypto-actifs du secteur privé demeurent risqués et instables, mais les banques centrales pourraient bientôt être tentées d’en émettre pour répondre à la demande d’une forme ou d’une autre de monnaie numérique, une idée que nous explorons dans le prochain Rapport sur la stabilité financière dans le monde.

● La technologie qui sous-tend les crypto-actifs (la « technologie de registre distribué » ou DLT pour distributed ledger technology) est porteuse d’une plus grande efficacité des marchés financiers. La mise en place de « contrats intelligents » à exécution automatique et d’application directe pourrait entraîner la disparition de certains intermédiaires. La bourse australienne a déjà annoncé son intention de recourir à la DLT pour gérer la compensation et le règlement des opérations boursières.

● Le stockage sécurisé des données sensibles est une autre utilisation prometteuse de la DLT. Dans le secteur de la santé, cette technologie pourrait garantir la confidentialité des données médicales tout en permettant aux assureurs et aux autres utilisateurs autorisés d’y accéder.

● Dans les pays en développement, ces progrès pourraient contribuer à garantir les droits de propriété, rehausser la confiance et promouvoir l’investissement. Au Ghana, où les litiges fonciers sont nombreux, une plateforme DLT prometteuse baptisée Bitland pourrait contribuer à régler le problème en offrant un service sécurisé d’enregistrement des transactions foncières.

Un meilleur équilibre

Personnellement, je ne crois pas que la révolution opérée par les technologies financières annonce la fin des intermédiaires de confiance, comme les courtiers et les banquiers. Elle permet toutefois d’espérer que les applications décentralisées de la technologie des crypto-actifs diversifieront le paysage financier, rétabliront l’équilibre entre fournisseurs de services centralisés et décentralisés, et conduiront à un écosystème financier plus efficient et peut-être plus résilient aux menaces.

Et qu’en est-il de la stabilité financière? Selon une analyse préliminaire, les crypto-actifs ne posent aucun danger immédiat, vu leur empreinte encore étroite et leurs faibles ramifications dans le reste du système financier. La vigilance reste cependant de mise pour les organismes de réglementation. Si les crypto-actifs finissaient par être intégrés aux flux normaux des produits financiers, ils pourraient amplifier le risque lié aux opérations à fort effet de levier et faciliter la propagation des chocs économiques.

Par ailleurs, un exode vers les crypto-actifs au détriment des monnaies officielles pourrait miner le modèle d’affaires des banques et des autres institutions financières. Les organismes de réglementation pourraient avoir plus de mal à assurer la stabilité d’un système financier diffus et décentralisé. En situation de crise, le rôle de prêteur de dernier ressort des banques centrales pourrait aussi être remis en cause.

Pour une approche mesurée

Avant que les crypto-actifs aient une incidence profonde et durable sur l’activité financière, ils devront gagner la confiance et obtenir le soutien des consommateurs et des autorités. Une des étapes cruciales pour la communauté mondiale des organismes de réglementation sera de parvenir à un consensus sur le rôle des crypto-actifs. Comme ces actifs ne connaissent pas de frontières, une collaboration internationale sera essentielle.

Fort de ses quelque 189 pays membres, le FMI peut jouer un rôle clé en offrant des conseils et en servant de tribune de discussion et de collaboration pour l’élaboration d’une approche réglementaire uniforme.

Pour cela, il nous faudra réussir à soutenir le rythme de l’évolution des marchés et des technologies. Nous devons sans tarder combler le déficit de connaissances qui entrave la surveillance des crypto-actifs. Il faudrait mettre en place une évaluation systémique des risques et des politiques opportunes de protection des consommateurs, des investisseurs et de l’intégrité des marchés.

Pour distinguer les menaces réelles des craintes futiles, il sera essentiel de comprendre les risques que représentent les crypto-actifs pour la stabilité financière mondiale. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un programme de réglementation équilibré qui atténuera les risques sans décourager l’innovation.

En procédant avec lucidité, nous pourrons tirer parti des nouveaux horizons qu’ouvrent les crypto-actifs tout en en évitant les pièges.

*****

https://blogs.imf.org/wp-content/uploads/2011/11/MD-official.jpg
Christine Lagarde est Directrice générale du Fonds monétaire international. Après un premier mandat de cinq ans, elle a été reconduite dans ses fonctions en juillet 2016 pour un deuxième mandat. De nationalité française, elle a auparavant occupé le poste de ministre des Finances de son pays de juin 2007 à juillet 2011. Elle a aussi été ministre déléguée au Commerce extérieur pendant deux ans.

Mme Lagarde a également poursuivi une longue et remarquable carrière d’avocate spécialiste du droit de la concurrence et du travail en qualité d’associée dans le cabinet international Baker & McKenzie, dont elle a été élue présidente en octobre 1999. Elle l’est restée jusqu’en juin 2005, date à laquelle elle a été nommée à son premier poste ministériel en France. Mme Lagarde est diplômée de l’Institut d’études politiques (IEP) et de la faculté de droit de l’université Paris X, où elle a aussi enseigné avant de rejoindre Baker & McKenzie en 1981.



DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

Relations publiques    Relations avec les médias
Courriel : publicaffairs@imf.org Courriel : media@imf.org
Télécopie : 202-623-6220 Télécopie : 202-623-7100