Péchés d’émissions et d’omissions à Durban

Ian Parry, Conseiller d'assistance technique
Département des finances publiques, FMI
Affiché le 9 janvier 2012 par le blog du FMI - "iMFdirect"

Alors que nous entrons dans une nouvelle année, qui s’annonce rude sur le plan économique, il est compréhensible que les responsables politiques s’inquiètent de ce que les prochaines semaines nous réservent. Mais ils doivent aussi se préoccuper de laisser la planète dans un état raisonnable pour les générations futures.

À moins que des efforts résolus ne soient faits pour réduire les gaz à effet de serre, les scientifiques prédisent que d’ici la fin de ce siècle, la température sur terre pourrait être supérieure de 2,5 à 6 degrés à ce qu’elle était il y a deux cents ans. Cela se traduirait par davantage de canicules et de sécheresses, par un relèvement du niveau des océans et par des tempêtes plus violentes — et tout à l’avenant. Que l’on songe aux conséquences que les sécheresses peuvent avoir sur le quotidien des agriculteurs, surtout dans les pays pauvres … et il n’est pas difficile d’imaginer la suite.

Bien que la dernière série de négociations sur les changements climatiques des Nations Unies à Durban (Afrique du Sud) ait produit quelques avancées, ses résultats pèchent par au moins deux grosses omissions. D’abord, il n’y a guère eu de progrès sur le plan de la tarification des émissions de carbone ni, dans le même registre, sur celui du financement de la lutte contre les changements climatiques. Et deuxièmement, le rôle que peut jouer l’économie pour aider à résoudre les problèmes n’est pas suffisamment pris en considération.

Tarification des émissions de carbone : la fin justifie les moyens

Le FMI étudie depuis quelque temps les enjeux budgétaires, financiers et économiques des changements climatiques. Il y a deux ans, Carlo Cottarelli signalait déjà qu’il importait de tarifer les émissions de carbone, faute de quoi il ne saurait y avoir de stratégie cohérente de lutte contre les changements climatiques.

La tarification du carbone est de loin le moyen le plus efficace de réduire les émissions de CO— principal gaz à effet de serre — et d’encourager les investissements dans les technologies propres, en définitive indispensables pour stabiliser le système climatique mondial. Et pourtant, plus de 90 % des émissions mondiales de CO2 échappent encore à quelque tarification que ce soit.

La tarification du carbone serait en outre une nouvelle source de revenus importante pour les États à court de ressources. Si l’on fixe le prix des émissions de CO2 des États-Unis (chiffrées actuellement à environ 5,5 milliards de tonnes) à 25 dollars la tonne — niveau considéré comme raisonnable, selon un rapport récent — cela pourrait rapporter en une seule décennie un montant à peu près égal à celui de la réduction du déficit retenue récemment comme objectif par le «super-comité» du Congrès américain.

Il est certain que la tarification des émissions de carbone est difficile à mettre en œuvre, notamment parce que les consommateurs se voient infliger des prix plus élevés et les industries voraces en énergie, telles que la sidérurgie ou la production d’aluminium, deviennent moins compétitives. Et pour que cette politique réussisse, il faudrait vraisemblablement prévoir des mesures compensatoires pour ceux qui en subissent les effets, en particulier les plus démunis.

Une possibilité consisterait à réduire les taxes énergétiques préexistantes, qui feraient double emploi du fait de la tarification des émissions de carbone. Dans la plupart, voire la totalité des pays avancés, il serait possible de compenser le renchérissement de l’électricité et des carburants en réduisant les taxes indirectes préexistantes perçues sur la consommation d’électricité et l’achat d’une automobile. Mais ce nouveau mode de taxation réduirait beaucoup plus efficacement les émissions, car, par exemple, la hausse des prix des carburants fossiles pénalise les compagnies qui utilisent des combustibles à forte intensité de carbone, ainsi que les conducteurs.

Autre possibilité : un ajustement de l’ensemble du système de finances publiques. En Australie, les recettes prévisionnelles de la tarification des émissions de carbone serviraient à relever sensiblement les seuils d’imposition du revenu des particuliers — ce qui signifie que l’on pourrait gagner davantage avant de se retrouver dans la première tranche d’imposition. Une autre manière de compenser la perte de compétitivité consiste pour les pays qui taxent les émissions de carbone à prélever des droits à l’importation sur les produits venant de pays où les émissions ne sont pas taxées : c’est ce qu’il est convenu d’appeler un ajustement fiscal à la frontière. Ce genre d’ajustement pénalise les pays qui ne taxent pas les émissions, mais il importe d’en définir les modalités avec soin pour respecter les obligations commerciales internationales.

Financement de la lutte contre le changement climatique : montrez-nous la couleur de votre argent!

Les pays avancés se sont par ailleurs engagés à réunir 100 milliards de dollars par an pour les projets d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques dans les pays en développement, mais pour l’heure il est difficile de savoir d’où viendrait cet argent. Il y a quelques semaines, le Groupe des Vingt pays avancés et émergents a demandé au FMI, notamment, d’étudier les diverses options possibles.

Il a été question de puiser à diverses sources de recettes intérieures (taxes sur l’électricité, les carburants, le revenu, le capital ou même les transactions financières). Mais la tarification des émissions de carbone semble être la meilleure solution : elle permet de recueillir les recettes voulues et s’attaque directement au problème climatique. Il faut cependant être réaliste : il est difficile d’imaginer que, dans la situation actuelle des finances publiques, les gouvernements soient prêts à renoncer à une grande partie de leurs recettes.

Un système de redevances-carbone sur les carburants consommés par les compagnies aériennes et maritimes internationales pourrait être plus prometteur, étant donné que les autorités fiscales nationales n’ont pas encore une juridiction claire en la matière. (L’aviation internationale cause de nombreux démêlés juridiques — mais je ne suis pas juriste, aussi m’en tiendrai-je à la partie économique du débat.)

Sur le plan de l’environnement, ces redevances sont clairement justifiées : les transports aériens et maritimes sont responsables d’environ 3 % des émissions de CO2 dans le monde, et à l’heure actuelle, il n’y a pas d’accises analogues à celles qui frappent les carburants automobiles. Elles se justifient aussi pour d’autres raisons fiscales plus générales, par exemple le fait que les titres de transport internationaux ne sont en général pas soumis à la TVA.

Il faudrait que le système de redevances soit coordonné au niveau international et il pourrait être nécessaire d’accorder des compensations aux pays en développement pour les inciter à adhérer au système. Voici quelques pistes prometteuses : ils pourraient conserver les recettes que leur rapportent les redevances sur le carburant aérien ou obtenir une ristourne sur les frais de transport maritime en proportion de leurs parts commerciales.

Éviter la catastrophe

Sans vouloir verser dans le catastrophisme, il faudrait sans doute aussi commencer à songer à mettre en œuvre des technologies de «dernier recours», par exemple des systèmes de filtrage du CO2 pour purifier l’atmosphère, des techniques permettant de réfléchir la lumière du soleil, etc. Cela pourrait être utile au cas très improbable où le futur réchauffement mettrait en danger notre planète. Ces technologies possibles posent toutes sortes de problèmes épineux. Mais plus longtemps on pèche par omission et on tarde à prendre les décisions permettant de vraies avancées sur le dossier de la tarification du carbone, plus cette mince probabilité de catastrophe gagne un peu de réalité.



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