Un ajustement budgétaire trop rapide ?

Par Carlo Cottarelli, Directeur, Département des finances publiques, Fonds monétaire international
Affiché le 29 janvier 2012 par le blog du FMI - iMFdirect

Le FMI soutient depuis quelque temps qu'il convient d'abaisser à un niveau plus prudent les ratios d'endettement public très élevés de nombreux pays avancés en engageant une action progressive et durable. Que les pouvo irs publics en fassent trop peu ou en fassent trop, cela comporte des risques : un ajustement budgétaire insuffisant pourrait entraîner une perte de confiance sur les marchés et une crise budgétaire, ce qui pourrait tuer la croissance ; mais un ajustement excessif nuira directement à la croissance.

Il nous est arrivé quelquefois ces deux dernières années d'engager des pays à accélérer le rythme de leur ajustement lorsque nous pensions qu'ils agissaient trop lentement.

Au contraire, dans la conjoncture actuelle, je m'inquiète que certains pays aillent peut-être trop vite.

Risque pour la reprise

Selon la dernière mise à jour du Moniteur des finances publiques, l'ajustement budgétaire s'effectue assez vite dans les pays avancés : en moyenne, il est prévu que le déficit baissera d'un total de 2 points de pourcentage du PIB en 2011 -12. La baisse est plus forte encore dans la zone euro (environ 3 points de pourcentage du PIB). Si la croissance était relativement vigoureuse, ce rythme serait acceptable. Mais, la conjoncture actuelle étant moins favorable, une réduction aussi rapide des déficits pourrait compromettre la reprise économique.

D'aucuns pourraient avancer que procéder à un ajustement revient à prendre une pilule difficile à avaler, et qu'il vaut toujours mieux en finir aussi vite que possible. Un ajustement budgétaire agressif sera certainement récompensé par les marchés, sous la forme d'une baisse des taux d'intérêt, et la perte de croissance est tout simplement le prix à payer pour que la crédibilité des finances publiques soit gagnée ou préservée.

Austérité budgétaire et comportement des marchés

Mais le comportement des marchés est bien plus complexe que cela , du moins dans la crise actuelle. Certes, les marchés n'aiment pas des dettes et des déficits budgétaires élevés, mais ils n'aiment pas non plus une croissance faible. Prenons le déclassement récent de la dette de plusieurs pays européens. Était-ce simplement la conséquence de problèmes budgétaires ? Non. Selon Standard and Poor’s, « une réforme qui repose uniquement sur l'austérité budgétaire risque d'aller à l'encontre du but recherché, car la demande intérieure baisse à mesure que les consommateurs deviennent plus anxieux quant à la sécurité de leur emploi et à leur revenu disponible, ce qui réduit les recettes fiscales du pays ».

Certains de nos travaux analytiques au FMI le montrent clairement. Ils indiquent qu'une baisse de l'endettement et des déficits entraîne un recul des taux d'intérêt sur les obligations d'État, mais cela vaut aussi pour une accélération de la croissance à court terme. Donc, lorsque des pays durcissent leur politique budgétaire et que leur économie ralentit, une partie des gains tirés de l'amélioration des paramètres budgétaires fondamentaux sera perdue du fait du ralentissement de la croissance. Nous observons aussi une relation non linéaire entre la croissance et les écarts de taux sur les obligations souveraines : ces écarts ont plus tendance à augmenter lorsque la croissance est déjà plus faible et le durcissement budgétaire plus prononcé (voir graphique). Si la croissance ralentit suffisamment à la suite d'un durcissement de la politique budgétaire, les taux d'intérêt pourraient en fait augmenter tandis que le déficit diminue.

Graphique

Une politique budgétaire propre à chaque pays

Donc, comment réagir sur le plan budgétaire si la croissance ralentit plus que prévu?

Pour certains pays avancés, l'accès limité au financement ne leur laisse aucune autre possibilité que de s'en tenir à leur plan de réduction du déficit cette année. Mais le durcissement de la politique budgétaire ne peut être le seul instrument permettant de rétablir la confiance des marchés. Il est essentiel aussi d'opérer des réformes structurelles qui rehaussent la compétitivité et la croissance, mais même les réformes qui sont engagées aujourd'hui ne donneront pas des résultats immédiats. Il sera donc primordial de soutenir les pays qui procèdent à un ajustement à un rythme approprié en leur offrant un financement adéquat — dans la zone euro, par le biais du Fonds européen de stabilité financière et du Mécanisme européen de stabilité — pour accroître la confiance tandis que les perceptions du marché s'ajustent. Ces derniers finiront pas réagir à une amélioration des paramètres économiques fondamentaux, par exemple un raffermissement de la croissance à moyen terme et une baisse du déficit, mais parfois il faut du temps.

Toutefois, bon nombre d'autres pays avancés disposent d'une plus grande latitude en matière budgétaire. Si la croissance ralentit, ces pays doivent éviter de durcir davantage leur politique budgétaire. Ils devraient laisser le ralentissement économique faire sentir ses effets sur les recettes et les dépenses, par exemple sur les allocations de chômage, et laisser le déficit augmenter de manière temporaire.

Parmi ces pays disposant d'une plus grande marge de manoeuvre, il y en a certains, y compris dans la zone euro, où les taux d'intérêt très faibles ou d'autres facteurs créent un espace budgétaire qui leur permet de réexaminer le rythme de réduction du déficit cette année.

Par exemple, aux États-Unis, sur la base de la politique économique actuelle, le déficit diminuerait de plus de 2 points de pourcentage du PIB en 2012, soit l'ajustement annuel le plus marqué depuis 40 ans. C'est trop. La prolongation des réductions des impôts sur les salaires et des allocations de chômage pour les demandeurs d'emploi à long terme — deux mesures qui devraient expirer cette année — fournirait un soutien opportun à l'économie. Des mesures de ce type seraient grandement facilitées par l'adoption de plans d'ajustement crédibles à moyen terme, qui restent absents dans quelques-uns des principaux pays.

Conclusion

La dette publique demeure très élevée dans beaucoup de pays avancés, et il est essentiel de procéder à un ajustement budgétaire qui permettra de la réduire à moyen terme. Presque tous les pays avancés ont l'intention de réduire leur déficit cette année. Mais si la croissance ralentit plus que prévu, certains pays seront peut-être portés à préserver leurs plans à court terme en durcissant davantage leur politique budgétaire, même si cela pèse encore plus sur la croissance. Ma conclusion pour ces pays est la suivante : ne le faites pas si ce n'est pas nécessaire.



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