Typical street scene in Santa Ana, El Salvador. (Photo: iStock)

(photo : Sultan Mahmud Mukut/SOPA Image/Newscom)

Bulletin du FMI : Le FMI poursuit son appui à la Grèce avec un décaissement de 3,24 milliards d’euros

le 18 janvier 2013

  • Le programme de la Grèce a accusé un net dérapage en 2012, mais les autorités ont redressé le cap
  • Globalement, le programme d’ajustement de la Grèce enregistre des progrès considérables
  • Une exécution énergique et soutenue des politiques convenues est désormais nécessaire pour jeter les bases d’un redressement

La mise en œuvre des politiques convenues dans le cadre du programme de la Grèce appuyé par le FMI a accusé un net dérapage en 2012.

photo : Yorgos Karahalis/ Reuters

Employées d’une entreprise agroalimentaire à Agrinio. Grâce à une plus grande concurrence, les prix ont commencé à baisser en Grèce (photo: Yorgos Karahalis/Reuters).

ENTRETIEN SUR LA GRÈCE

Une période électorale prolongée a eu pour effet concret de mettre en veilleuse les réformes macro-structurelles, les privatisations et les réformes budgétaires. Les retards enregistrés ont eu de profondes répercussions sur l’activité économique, dont on projetait déjà la faiblesse. De ce fait, et en raison de la perte de confiance et des contraintes de liquidités, les résultats n’ont pas été à la hauteur des projections du programme.

Cependant, ces derniers mois la Grèce a affiché des progrès impressionnants sous la direction du nouveau gouvernement de coalition avec un rétablissement de la viabilité des finances publiques et un accord sur les réformes du marché du travail, autant de facteurs qui donnent un coup de fouet nécessaire à la compétitivité. Globalement, le programme du gouvernement a abouti à d’importants résultats (encadré 1).

En outre, l’accord conclu entre la Grèce et ses partenaires européens en décembre dernier pour faire face aux problèmes liés à la viabilité de la dette a dégagé une marge de manœuvre qui permet au gouvernement de faire avancer de manière résolue les réformes nécessaires pour redynamiser la croissance économique et commencer à inverser la tendance d’augmentation du chômage et de diminution des revenus.

L’achèvement de la revue ouvre la voie au décaissement de 3,24 milliards d’euros au titre du programme appuyé par le FMI convenu en mars de l’année dernière dans le cadre d’un dispositif conjoint de financement avec les États membres de la zone euro d’un montant de 172 milliards d’euros sur quatre ans.

Dans l’entretien qu’il a accordé au Bulletin du FMI, Poul Thomsen traite des perspectives de la Grèce, des mesures qui devront être prises pour que le programme puisse réussir, et des principaux risques à gérer.

Bulletin du FMI : La Grèce en est à sa sixième année de récession, quelles sont les perspectives de reprise?

M. Thomsen : Les perspectives de reprise dépendent en fait de la bonne mise en œuvre du programme par le gouvernement. La tâche n’est pas aisée.

Le climat sociopolitique de la Grèce reste fragile, et le moindre doute quant à la détermination du gouvernement à exécuter le programme risquerait très rapidement de pousser de nouveau la production à la baisse, sous l’effet d’un repli des investisseurs et des consommateurs et d’un retrait des dépôts et, partant, d’une contraction des liquidités.

Qui plus est, le pays connaît un surendettement considérable, ce qui limite la volonté des ménages et des entreprises à consommer et à investir. Enfin, l’économie continue de subir un ajustement budgétaire et un déficit de compétitivité et ses principaux marchés d’exportation dans la zone euro sont limités.

Pour que les consommateurs et les investisseurs reprennent confiance, ils devront être convaincus que le programme peut mobiliser le soutien politique nécessaire pour réussir. En outre, pour que la Grèce soit en mesure d'exploiter pleinement son accès aux marchés de la zone euro, et donc compenser le poids de l'ajustement budgétaire sur la demande, elle doit combler son déficit de compétitivité en mettant entièrement en œuvre le programme.

C'est pourquoi il est essentiel d'avoir une période de bonne mise en œuvre du programme, pour qu’ensuite la Grèce puisse trouver une issue à la récession.

Bulletin du FMI : Le FMI est-il désormais convaincu que la Grèce s'est engagée sur la voie d'un désendettement durable?

M. Thomsen : La dette grecque est trop élevée, et d'après nos prévisions elle le restera sans allégement et sans transferts durables de la part des partenaires européens.

Les partenaires européens de la Grèce ont déjà pris un certain nombre de mesures pour contribuer à réduire son endettement. Ils ont financé l'opération de rachat d'obligations publiques de décembre dernier, et ils ont également restructuré certains de leurs propres instruments de prêts. L'une et l'autre de ces mesures commenceront à produire des résultats immédiats en termes de réduction de la dette.

En outre, un dispositif a été mis en place pour parvenir à une solution durable au problème d'endettement de la Grèce. Ses partenaires européens ont convenu de prendre d'autres mesures durant la période couverte par le programme pour ramener la dette de la Grèce nettement en dessous du seuil de 110 % du PIB d'ici 2022, pour autant que la Grèce réalise ses objectifs budgétaires. Ces assurances traduisent en fait une reconnaissance explicite — pour la première fois depuis le début de la crise — du caractère non soutenable de la dette grecque sans allégement ou transferts durables.

Bulletin du FMI : Sur le plan de l'assainissement budgétaire, combien reste-t-il à accomplir?

M. Thomsen : La Grèce a encore un certain chemin à parcourir. Malheureusement, le pays a commencé la crise avec un déficit budgétaire de près de 16 % du PIB, niveau presque sans précédent par temps de paix et sans crise bancaire. Un pays ne peut pas résoudre un problème d'une telle ampleur du jour au lendemain.

Jusqu'à présent, la Grèce a réalisé un travail d'ajustement tout à fait impressionnant; elle a ainsi amélioré son solde primaire d'environ 9 % du PIB dans une conjoncture macroéconomique très défavorable. Cependant, compte tenu de l'ampleur du déséquilibre initial, il y a encore du travail à accomplir. D'après nos estimations, il faudrait un autre ajustement d'environ 6 % du PIB en ce qui concerne le solde primaire. En termes structurels, la Grèce a accompli plus de la moitié du travail à réaliser.

Bulletin du FMI : À l’heure où les propres études du FMI font état du caractère pernicieux d'une austérité excessive, est-il logique que la Grèce persiste sur la voie des coupes budgétaires sans fin?

M. Thomsen : On a beaucoup parlé du rythme auquel la Grèce devait opérer son ajustement. Dès le début, le FMI a préconisé une période d'ajustement budgétaire plus longue mais nous devons également reconnaître qu'un financement est nécessaire et la Grèce a déjà reçu des engagements de soutien financier sans précédent.

L'étalement de l'ajustement a été défini de manière à concilier la nécessité de parvenir à une situation budgétaire viable conforme aux financements disponibles et celle de stabiliser l'économie. La trajectoire d'ajustement budgétaire permettra désormais de parvenir à l'objectif de solde primaire — un excédent de 4½ % du PIB — deux ans plus tard, en 2016.

La Grèce peut-elle y parvenir? Pour répondre à cette question il faut prendre un peu de recul historique. Plusieurs pays de la zone euro — la Belgique et l'Italie, par exemple — ont enregistré des excédents primaires élevés d'une moyenne de 4½ % du PIB ou plus pendant une décennie, ce qui leur a permis de réduire leur niveau d'endettement. En fait, la Grèce a elle-même affiché un excédent primaire de 4½ % du PIB à la fin des années 90.

Bulletin du FMI : Mais l'austérité budgétaire ne risque-t-elle pas de provoquer une récession encore plus grave que prévu? Les études ne font-elles pas apparaître que le FMI a sous-estimé le multiplicateur budgétaire?

M. Thomsen : N’oublions pas que plusieurs facteurs qui influent sur l'activité économique ont également une incidence sur la manière dont nous mesurons les multiplicateurs budgétaires a posteriori. Par exemple, le multiplicateur utilisé lorsque le programme a été approuvé en mai 2010 reposait sur certaines hypothèses quant à la confiance, aux mécanismes de crédit et à la demande extérieure. Cependant, l'aggravation de la crise politique a considérablement entamé la confiance et contribué à une contraction encore plus forte que prévu du crédit, tandis que par ailleurs les réformes structurelles n'atteignaient pas leurs objectifs, ce qui ralentissait les gains sur le plan extérieur.

Le cadre actuel du programme prévoit un multiplicateur nettement plus élevé que celui du programme initial car il est devenu évident qu'il fallait retenir toute une série d'hypothèses différentes. Avec ce multiplicateur plus élevé, nous espérons que les projections se matérialiseront, mais il faut toujours avoir présent à l'esprit que les hypothèses peuvent évoluer.

Bulletin du FMI : Pourquoi le programme insiste-t-il toujours sur la réduction des prestations de retraite?

L’ajustement a été extrêmement douloureux, mais il était nécessaire de se centrer sur les retraites car le gonflement de l’enveloppe des pensions dans le secteur public était la principale cause du creusement du déficit budgétaire. Par ailleurs, les autres filons d'ajustement — augmentation des impôts sur les salaires et réductions des dépenses discrétionnaires — sont largement épuisés.

Je tiens toutefois souligner que le programme a été conçu en accordant une attention toute particulière à la protection des couches de population les plus vulnérables, tant du point de vue des dépenses que des mesures fiscales.

Dorénavant, pour que le gouvernement évite de réduire davantage les salaires et les retraites — car nous le reconnaissons, cela n'est pas souhaitable —, il est vital qu'il s'attaque résolument à la fraude fiscale et qu’il réduise, comme prévu, la taille d’un secteur public pléthorique. Cela permettra de promouvoir l'équité et le partage des charges.

Bulletin du FMI : Le programme de réformes a été retardé l'an dernier à cause des incertitudes politiques. Pourriez-vous me donner quelques exemples de domaines où la Grèce doit agir énergiquement?

M. Thomsen : Je vous en donnerai deux. Le premier concerne la compétitivité. Les autorités grecques ont beaucoup progressé dans la réforme du marché du travail, et les résultats montrent une nette amélioration de la compétitivité des coûts. Cependant, ces gains ne se sont pas encore traduits par une variation des prix. Cela s'explique par le fait que de nombreux marchés de biens et services en Grèce restent protégés, ce qui empêche à de nouvelles entreprises de s'implanter et d'accroître la concurrence.

Prenez par exemple le lait maternisé. Jusqu'à une période très récente il ne pouvait être vendu qu’en pharmacie et ne pouvait pas être distribué dans les supermarchés. L'année dernière, le gouvernement a levé cette restriction et les prix ont rapidement chuté de 40 %. Mais cette mesure a ensuite été suspendue du fait de l'opposition manifestée par ceux qui avaient bénéficié de la restriction. Aujourd'hui, les supermarchés grecs peuvent de nouveau vendre du lait maternisé, mais cet exemple illustre à quel point il est difficile d'insuffler plus de concurrence à l'économie grecque.

L'autre exemple que je souhaiterais évoquer est celui de l'administration fiscale. Pour que la Grèce puisse mener à bien son ajustement elle devra améliorer le recouvrement de l'impôt. De fait, elle a bénéficié d'une importante assistance technique de la part du FMI et de l'Union européenne via le Groupe de travail pour la Grèce. Le programme a commencé par une étape de programmation et de préparation pour passer ensuite à des réformes du dispositif légal qui régit l'administration fiscale.

Mais le processus s’est bloqué dans la phase de mise en œuvre. Des problèmes se sont manifestés durant l'année dernière en particulier, et en raison de l'incertitude politique qui a abouti aux élections de mai, la nomination d'un nouveau directeur général de l'administration fiscale a été retardée. Faute de dirigeants, les réformes ont marqué le pas. C’est donc là un domaine où les résultats ont été particulièrement décevants et où il est nécessaire de compter sur un leadership énergique et une volonté politique plus ferme pour que les réformes puissent avancer.

Bulletin du FMI : Pourquoi le dossier fiscal est-il si difficile à gérer?

M. Thomsen : La réforme de l'administration fiscale se heurte à une considérable résistance bureaucratique, et il existe une perception généralisée en Grèce selon laquelle l'inertie de l'administration est due à la corruption. Certes, la corruption se propage lorsqu'il y a un manque de transparence — qui empêche les citoyens, et a fortiori les observateurs extérieurs, de comprendre les règles. Et en Grèce les règles sont complexes. Mais le programme a enregistré d'importants progrès dans la simplification du code des impôts et des procédures de comptabilisation et de recouvrement. Le gouvernement a en outre pris des mesures pour accroître la responsabilisation des agents de l'administration fiscale et pour accroître l'autonomie du fisc afin de le mettre à l’abri des ingérences politiques.

En dernière analyse, les institutions internationales peuvent certes fournir des conseils sur les pratiques optimales, mais ce sont les gens sur le terrain qui ont la responsabilité de promouvoir le changement. En tout état de cause, il est clair qu'il faudra du temps et une ferme volonté pour mener à bien les changements institutionnels. En Grèce, nous sommes encore plus près du début du processus que de son achèvement.

Bulletin du FMI : Quels sont les progrès sur le front de la compétitivité?

M. Thomsen : Pour ce qui est de la compétitivité par les coûts, la Grèce a probablement comblé un peu plus de la moitié du déficit de compétitivité estimé au début du programme, à savoir un écart de plus de 30 % par rapport aux concurrents les plus proches. C’est là une avancée notable.

Cependant, il est regrettable de constater que près de la totalité des gains proviennent d'une compression des salaires nominaux, par opposition à des augmentations de productivité, compte tenu des retards enregistrés dans le programme de réformes structurelles. Le nouvel élan réformiste visant à améliorer le potentiel de croissance de l'économie devrait aboutir à une plus forte croissance de la productivité et atténuer les tensions baissières sur les salaires.

Bulletin du FMI : Compte tenu des tensions que continue de subir le secteur financier, les banques grecques seront-elles en mesure de fournir suffisamment de crédit pour faire redémarrer l'économie?

M. Thomsen : Lorsque vous regardez l'expérience internationale des reprises suite à des crises profondes, vous constatez qu'elles tendent à se produire indépendamment de la disponibilité de crédit. En général, il y a une période d'inversion du levier financier durant laquelle les entreprises et les ménages se désendettent.

La Grèce pourrait connaître la croissance sans beaucoup de crédit à court terme. Comment ferait-elle? Globalement, le secteur privé a une position créditrice nette à l'égard du reste du monde, ce qui porte à croire que de nombreuses entreprises pourraient financer de nouveaux investissements à partir de leurs propres ressources.

Cela dit, il faut éviter que par manque de liquidités la reprise ne s'essouffle davantage. Nous allons examiner les plans de financement bancaire pour veiller à ce qu'ils soient cohérents, et un effort sera consenti pour éviter toute tentative collective de la part des banques d'inverser le levier financier à un rythme supérieur à celui des hypothèses du programme.

Bulletin du FMI : Quelles sont les prévisions actuelles en termes de privatisation?

M. Thomsen : Il s'agit-il là d'une réforme structurelle cruciale qui a également d'importantes répercussions pour la réduction de la dette. Mais les progrès ont été freinés par la faiblesse des marchés, par des contraintes techniques et, surtout, par des obstacles politiques.

Le gouvernement a considérablement avancé dans la suppression des barrières techniques — par exemple en effectuant un recensement des biens fonciers dont les titres de propriété ne sont pas grevés, qui peuvent être vendus et qui ont reçu les autorisations nécessaires en matière d'aménagement. Mais il faudra un certain temps pour vendre ces biens. N’oublions pas par ailleurs que la conjoncture actuelle du marché n'est pas très favorable.

En ce qui concerne les obstacles politiques, un organisme indépendant a été mis en place en 2011 pour aider dans la gestion des activités, mais si des problèmes subsistent les autorités devront sans doute en revoir les structures de gouvernance.

Bulletin du FMI : Suite à l'achèvement des première et deuxième revues du nouveau programme appuyé par FMI, à votre avis la Grèce peut-elle désormais remettre d'aplomb son économie malmenée tout en restant dans la zone euro?

M. Thomsen : Le programme a donné la Grèce le temps et les moyens de s'attaquer aux problèmes profonds. Avec les ressources mises à disposition par les États membres de la zone euro et par le FMI, la Grèce pourra recapitaliser son système bancaire. Le programme lui accorde également un certain temps pour ajuster sa situation budgétaire et mener à terme les réformes structurelles nécessaires pour renforcer sa compétitivité. Au total, la Grèce a reçu 50 milliards d'euros pour recapitaliser ses banques et 120 milliards d'euros d'appui budgétaire. Grâce à ce volume fort considérable de ressources, elle peut éviter un ajustement encore plus douloureux que ce n'est actuellement le cas.

Si le programme est mené à bien comme convenu, la Grèce pourra survivre et prospérer au sein de la zone euro. Il reste du chemin à parcourir mais avec une mise en œuvre résolue, je crois que les opinions sur la Grèce pourraient commencer à évoluer.

Grèce : gros plan sur les résultats des réformes

Un système financier renforcé. Depuis le milieu de 2012, les dépôts reviennent au système bancaire. Les principales banques ont été recapitalisées et leur bilan a été considérablement renforcé. Les banques grecques ont aujourd'hui peu de créances sur l'État.

• Un marché du travail plus compétitif. Les coûts unitaires de main-d'œuvre ont diminué de 15 % par rapport aux maxima enregistrés avant la crise. Le salaire minimum a été réduit de plus de 20 %, le système d'établissement du salaire minimum a été réformé (en réduisant considérablement les ingérences intempestives), les coûts de licenciements ont été réduits et les exigences onéreuses d'approbation préalable en matière d'horaires et d’heures supplémentaires ont été supprimées.

Un système de retraite abordable. Les réformes permettront de réduire les dépenses en prestations de retraite de 17 % du PIB en 2012 à 14 % du PIB en 2013, soit un niveau plus proche de la moyenne de la zone euro de 12 % du PIB. Les pensions de retraite inférieures à 1000 euros par mois n'ont pas été réduites pour veiller à protéger les plus vulnérables.

Des prix plus abordables et un éventail de choix plus large pour les consommateurs. En Grèce les prix ont commencé à diminuer. Les progrès ont certes été trop limités dans la promotion de la concurrence dans des secteurs importants de l'économie, mais certaines réussites récentes sont à signaler qui laissent envisager d'autres gains à venir. Le secteur de la distribution a été libéralisé à la fin de 2012. Le secteur se caractérisait par des prix élevés — notamment pour les produits alimentaires — tandis que la productivité était inférieure de 30 à 40 % de la moyenne de l'UE-15.