Comment (mieux) gouverner l'économie mondiale, Flemming Larsen, Directeur des Bureaux européens du FMI

le 2 décembre 2002


Flemming Larsen
Directeur des Bureaux européens
Fonds monétaire international
Conférence d'Helsinki 2002
Searching for Global Partnerships

2-4 décembre 2002

Le thème de la séance d'aujourd'hui a quelque chose d'intimidant. En effet, retenir le titre que nous avons choisi de donner à nos travaux, c'est reconnaître implicitement que l'économie mondiale — pour une raison ou pour une autre — n'est pas aussi bien gouvernée qu'elle pourrait l'être. C'est affirmer aussi qu'il doit y avoir une meilleure façon de gérer notre planète.

J'accepte ces prémices. Mais gardons-nous bien, cependant, d'oublier que le siècle dernier à vu l'espérance de vie de l'humanité, et les conditions de son existence, s'améliorer plus qu'à toute autre époque de notre histoire. Jamais auparavant une telle prospérité n'avait été partagée par tant d'hommes et de femmes à travers le monde, jamais tant de familles n'étaient sorties de la pauvreté en l'espace d'une ou deux générations à peine. Jamais non plus tant de pays n'avaient connu la liberté et la démocratie. Le progrès économique a été véritablement remarquable. Nous pourrions donc à juste titre considérer que le verre est, pour le moins, à moitié plein.

Pourtant, je me range volontiers du côté de ceux qui voient ce verre à moitié vide, car il n'est pas moins vrai que le fossé entre riches et pauvres n'a jamais été aussi large qu'il ne l'est aujourd'hui. Et il continue de se creuser. Parallèlement, nous avons assisté à une succession de crises financières qui ont secoué les marchés émergents suite aux volte-face brutales des investisseurs, et dont les conséquences ont été dévastatrices. Que l'on envisage la situation sous l'angle de l'éthique ou de la recherche de son intérêt bien compris, il est de plus en plus urgent de travailler à l'avènement d'une mondialisation qui soit au service de tous. Il n'est que trop clair, en effet, que le processus ne fonctionne pas aussi bien qu'il le devrait.

Nous sommes sans doute tous d'accord jusqu'ici.

Nécessité d'un diagnostic

Cela dit, il est beaucoup plus difficile de s'accorder sur les raisons de cette disparité croissante des revenus et de l'instabilité des marchés financiers internationaux, ou sur ce que chacun devrait faire, à la place qui est la sienne, pour résoudre ces problèmes.

Le mieux, je crois, est de commencer par revenir un instant sur les succès et les échecs qui ont émaillé le XXe siècle. Jamais auparavant, en effet, l'humanité n'avait mis au banc d'essai des idées aussi hardies, proposé des alternatives aussi radicales. Jamais non plus l'économie mondiale n'avait été un tel laboratoire pour les expériences économiques et politiques. Certaines ont été couronnées de succès, d'autres ont connu une réussite passagère, d'autres encore ont lamentablement échoué. Quels enseignements avons-nous tirés de cette période exceptionnelle?

Nous avons en fait beaucoup appris sur les conditions du progrès économique et social et sur les facteurs susceptibles d'accroître la résistance de nos économies aux chocs financiers. Un certain nombre de points, par exemple, ont été amplement prouvés :

  • le mécanisme des prix est absolument essentiel à la bonne marche de l'économie;

  • il est primordial aussi que les gouvernements en place ne promettent pas plus qu'ils ne peuvent tenir dans des conditions financièrement viables : en d'autres termes, ils doivent faire respecter ce que l'on pourrait appeler le «contrat social» passé avec la génération actuelle, et entre celle-ci et les générations à venir. Le solde du budget de l'État et l'évolution de la dette du secteur public — y compris les engagements hors bilan — sont un bon indicateur du respect (ou non) de ce principe par les responsables économiques;

  • les autorités monétaires doivent s'attacher à renforcer la stabilité des prix, qui permet ensuite d'utiliser la politique monétaire à des fins de stabilisation à court terme;

  • le taux de change retenu doit être compatible avec les fondamentaux de l'économie concernée;

  • enfin, le commerce international joue un rôle crucial en stimulant la concurrence et les transferts de technologie.

Nous avons appris également que, aussi importantes soient les lois de l'offre et de la demande dans l'allocation efficiente des ressources, le marché n'en a pas moins de nombreuses défaillances et les pouvoirs publics doivent :

  • bâtir et défendre les infrastructures de base des systèmes économiques que sont les droits de propriété, le cadre juridique dans son ensemble et les normes ou codes destinés à guider les entreprises et les consommateurs. Le scandale d'Enron, par exemple, a montré combien il importe que les investisseurs puissent avoir confiance dans les comptes publiés par les entreprises;

  • redistribuer les revenus, multiplier les possibilités offertes aux segments les plus pauvres de la population et s'appliquer à consolider le tissu social;

  • préserver la stabilité financière. Il semble que l'essor des systèmes financiers fondés sur le marché s'accompagne inévitablement d'une montée des risques d'instabilité, d'excès des marchés et, parfois, de turbulences. Les pouvoirs publics peuvent aider à réduire la gravité des crises financières en facilitant la mise en place d'une réglementation appropriée et en favorisant tout ce qui peut accroître la résistance des établissements de crédit et du système financier aux chocs éventuels.

Nous avons appris enfin que les politiques économiques, y compris les mieux conçues, ont peu de chance de réussir si elles sont simplement imposées de l'extérieur — c'est-à-dire que leur prise en charge par les pays eux-mêmes est indispensable si l'on veut apporter une solution durable aux problèmes posés.

Ces quelques principes — que l'on peut qualifier de fondamentaux — donnent une idée très schématique de ce qu'il faut faire pour favoriser le développement et la stabilité financière. Il est frappant pourtant de constater combien de pays échouent pour la seule raison qu'ils ont systématiquement négligé ces principes. Ce fut le cas de l'Union soviétique, cela a été celui des pays d'Amérique latine lorsqu'ils ont tenté de substituer des productions nationales aux importations, c'est manifestement le cas du Zimbabwe aujourd'hui.

La mondialisation — une épée à double tranchant?

Faut-il, comme on le fait si souvent, blâmer aussi la mondialisation? Face à la libéralisation et à l'intégration de plus en plus poussées des marchés financiers, il est à l'évidence plus urgent que jamais que les pays s'emploient à pallier les carences de leur politique économique — en procédant aux modifications et aux réformes qui avaient pu paraître moins pressantes dans le passé mais qui provoquent aujourd'hui de brusques pertes de confiance dès que les investisseurs nationaux et étrangers commencent à douter du bien-fondé du cap suivi ou ont d'autres raisons de céder les actifs qu'ils détiennent dans un pays. Par exemple, les investisseurs peuvent s'inquiéter tout à coup des perspectives de viabilité financière d'un pays parce qu'ils commencent à craindre que les autorités n'aient pas la volonté politique de contenir l'endettement du secteur public. Ils peuvent aussi, plus simplement, rééquilibrer leur portefeuille parce que leur aversion au risque diminue ou pour répondre à des évènements tels que l'éclatement récent de la bulle des technologies de l'information.

Dans le nouveau système financier qui se met en place, la mondialisation se représente parfois comme une arme à double tranchant. Lorsque les pays peuvent s'appuyer sur des fondamentaux solides qu'ils améliorent sans relâche, la mondialisation favorise durablement l'investissement, le commerce et la croissance. C'est pour cette raison, précisément, que les pays en développement souhaitent en général un approfondissement et non un recul de la mondialisation. En revanche, lorsque les fondamentaux d'un pays sont fragiles et que le gouvernement oublie qu'il est de son devoir de remédier en temps voulu aux facteurs de fragilité qui se font jour, comme on l'a vu en Argentine, les forces de la mondialisation peuvent se retourner temporairement contre ce pays, exacerber la crise qui s'ensuit et alourdir le coût social des réformes économiques inévitables qui ont été engagées tardivement.

Le rôle du FMI

Au FMI, nous sommes toujours prêts à aider nos 184 pays membres à améliorer leurs résultats économiques et à s'attaquer dès que possible à leurs difficultés. Bien trop souvent, les problèmes ne sont pas abordés à temps; il en résulte une crise économique et financière qui nécessite une aide temporaire que la communauté internationale apporte par l'intermédiaire du FMI. Il est tout naturel qu'à titre de condition préalable à cette aide, la communauté internationale demande aux pays où les crises sont endémiques de prendre des mesures vigoureuses pour en éradiquer les causes. Ces mesures varient selon les pays, mais ceux-ci sont en général invités à procéder à des réformes ou à ajuster leur politique économique afin d'améliorer leurs fondamentaux, en d'autres termes à se conformer davantage aux principes dont j'ai parlé.

Il est parfois difficile dans une situation de crise de donner immédiatement le bon diagnostic et de rétablir rapidement la confiance des investisseurs nationaux et internationaux. On reproche souvent au FMI de se tromper sur le diagnostic et le remède. En outre, on l'accuse fréquemment d'accroître plus que de raison les difficultés des pays en leur imposant des solutions jugées trop orthodoxes. Ce que l'on ignore souvent c'est que, sans l'aide de la communauté internationale et les programmes du FMI, les pays connaîtraient presque à coup sûr une situation beaucoup plus pénible, ce qui aggraverait les crises et alourdirait encore leurs difficultés.

Travailler avec les pays les plus pauvres est une véritable gageure. Beaucoup ont vécu trop d'expériences malheureuses par le passé et la plupart d'entre eux ont été ravagés par des guerres civiles ou des maladies ou souffrent purement et simplement de corruption ou de mauvaise gestion. Pour les aider à surmonter ces problèmes, une coopération étroite s'impose à l'évidence avec leurs partenaires du développement, la Banque mondiale, les autres agences des Nations Unies et les donateurs bilatéraux surtout. Les pays ne prennent pas en charge suffisamment leurs programmes, ce qui peut expliquer l'absence de progrès dans de nombreux cas; on s'attaque actuellement à cette défaillance en essayant d'établir la stratégie de réduction de la pauvreté des pays avec le concours de la société civile. Néanmoins, malgré ces difficultés, les actions constamment engagées pour renforcer les fondamentaux donnent à l'évidence des résultats : elles aident à relever le taux de croissance et le niveau de vie des pays pauvres également, même si les progrès apparaissent souvent trop lents et irréguliers.

Les enjeux de la gouvernance — dans les pays et au plan international

Vous ne serez donc pas surpris que j'en arrive à la conclusion que les problèmes de gouvernance à régler d'urgence pour améliorer les résultats économiques mondiaux se situent pour nombre d'entre eux au niveau national. Si les pays peu performants ou dont la situation économique est précaire ne sont pas prêts à s'attaquer à leurs difficultés et à renforcer leurs fondamentaux, les disparités constatées à l'échelon mondial se maintiendront et continueront sans doute de se creuser. Et, ces pays resteront vulnérables aux crises financières.

Mais, il y a également des problèmes mondiaux de gouvernance que la communauté internationale doit régler d'urgence. Certaines initiatives qui, à l'évidence, auraient dû être engagées il y a longtemps, n'ont même pas été envisagées sous la pression des pays riches qui voulaient conserver leurs avantages acquis. Bien peu a été fait dans le domaine agricole, alors que de nombreuses études font ressortir l'impact négatif des barrières commerciales et des subventions à l'exportation décidées par l'Europe, les États-Unis et le Japon. En réalité, les économies avancées refusent systématiquement de donner aux agriculteurs des pays pauvres leur seule chance de développement en excluant leurs produits des marchés des pays riches et en faisant baisser par des mesures de dumping les cours mondiaux d'excédents superflus. Cela revient à dire qu'à l'heure actuelle, de graves problèmes de cohérence compromettent l'assistance des pays avancés aux pays en développement. Comme de nombreux intervenants ont abordé ce point aujourd'hui, on peut espérer que le processus d'Helsinki marquera le point de départ d'une plus grande cohérence dans l'aide au développement.

Il est aussi arrivé que soient lancées des initiatives utiles qui, apparemment, n'ont donné aucun résultat. Voilà plusieurs années, les membres de l'OCDE, le club des pays riches, ont adopté une convention internationale en vue de lutter contre la corruption; mais, cette convention n'a guère été suivie d'effet, car l'OCDE n'a pu obtenir les ressources financières — assez modestes — nécessaires pour mettre en place un dispositif d'évaluation mutuelle, sans lequel il n'est que trop tentant pour les pays de continuer d'ignorer le problème.

L'incapacité chronique de respecter les engagements et les objectifs en matière de développement est un autre exemple qu'il convient de citer. En fait, de nombreux pays donateurs réduisent leur aide depuis quelques années, parfois parce qu'ils se sentent de plus en plus frustrés par l'apparente inefficacité de cette aide. Cela est indiscutablement vrai dans de nombreux cas. Cependant, l'absence de résultats positifs tient peut-être aussi à ce que, trop souvent, l'aide au développement est liée aux intérêts nationaux des pays donateurs. Heureusement, les choses sont en train de changer; toutefois, peu de signes donnent à penser que les promesses d'aide sont sur le point d'être tenues, bien que ce ne soit pas faute de candidats, de dossiers et de projets valables.

Dans ces trois exemples, des solutions pourraient et devraient, à l'évidence, être trouvées en faisant jouer la coopération internationale et intervenir les institutions pertinentes. Mais, de même que le monde évolue et est plus intégré que jamais, de même il faut, pour s'attaquer aux nouveaux problèmes, adapter les institutions en place, voire éventuellement en créer d'autres.

Au FMI, nous avons récemment proposé d'établir un mécanisme pour résoudre la dette des États débiteurs. Voilà un exemple d'institution qui, à notre avis, doit être créée pour régler efficacement, et en particulier plus rapidement et à un coût moindre pour le pays débiteur et ses créanciers, les rares cas d'insolvabilité souveraine. Ce mécanisme compléterait ceux qui sont actuellement à l'étude, comme les clauses d'action collective de nature contractuelle qui peuvent aider à restructurer des émissions spécifiques d'obligations.

Rendre le FMI plus responsable?

Ces dernières années, le FMI a été critiqué pour avoir mal géré nombre des crises financières dont il devait s'occuper, imposé des difficultés inutiles aux pays et surtout servi les intérêts des pays membres riches. On nous a également reproché de manquer de transparence, voire de cultiver le secret, et de ne pas être démocratiquement responsables. Certains de ceux qui nous critiquent préconisent notamment comme solution aux problèmes de gouvernance qu'ils perçoivent dans notre institution de faire jouer aux pays en développement un plus grand rôle dans le processus de prise de décision du FMI.

Bien que nous rejetions nombre de ces accusations, les discussions qu'elles ont suscitées ont sensiblement influé sur les travaux du FMI. Dans le domaine entre autres de la transparence, nous publions aujourd'hui presque tous nos documents, contrairement à ce qui se passait il y a à peine dix ans. Nous consultons maintenant régulièrement des experts externes et des représentants de la société civile — auxquels nous avons par exemple demandé de nous donner leur avis sur nos récents avant-projets de documents de politique générale sur la conditionnalité et les stratégies de réduction de la pauvreté. Le Conseil d'administration a créé il y a peu un Bureau indépendant d'évaluation qui entretient des relations étroites avec la société civile et les autres critiques du FMI. De nombreux pays membres organisent à l'intention de leurs parlementaires et de représentants de la société civile des réunions d'information sur le FMI, ainsi que sur les positions prises par leur administrateur au Conseil d'administration. On observe à l'évidence des avancées dans le domaine de la responsabilité démocratique. L'exemple le plus frappant des avantages à tirer d'un dialogue plus poussé et de la participation de la société civile a été l'initiative visant à réduire fortement la dette des pays pauvres très endettés. Il convient à cet égard de reconnaître le rôle considérable joué par les ONG qui sont parvenues à convaincre plusieurs pays importants du bien-fondé d'une telle mesure.

Il est très difficile, et ne semble guère réaliste, de modifier profondément la structure des droits de vote au FMI. Comme les quotes-parts, ceux-ci sont essentiellement déterminés sur la base de la dimension économique et de l'ouverture commerciale des pays, deux paramètres qui visent à saisir leur «part» dans l'économie mondiale et à établir leur contribution à l'aide financière destinée aux membres en crise. Les quotes-parts sont révisées régulièrement en fonction de l'évolution de l'économie mondiale. En conséquence, celle de la Chine a été récemment relevée et il semble que la prochaine révision aboutira à une augmentation générale de celles des économies de marché à croissance rapide de l'Asie de l'Est. Cependant, ces critères financiers rendent très difficile tout élargissement du rôle des pays africains dont le poids relatif dans le commerce international et l'économie mondiale est stable, voire parfois diminue, depuis plusieurs décennies.

D'aucuns soutiennent que la meilleure solution serait de tenir compte de la population des pays dans le calcul des quotes-parts, voire purement et simplement de fixer le nombre de voix des membres en fonction de leur population. Ne parviendrait-on pas ainsi à une représentation authentiquement démocratique? Le problème est que l'équilibre entre les contributions financières des pays et leur aptitude à influencer les politiques du FMI serait rompu, ce qui pourrait fort bien compromettre le recyclage par le FMI de l'assistance financière accordée aux membres et, donc, fragiliser son bilan. Tôt ou tard, les pays créanciers pourraient cesser de fournir au FMI les ressources dont il a besoin pour aider les pays en crise. C'est un peu comme si on donnait aux emprunteurs le pouvoir d'établir la politique de crédit des banques : les déposants ne tarderaient pas alors à retirer leurs fonds.





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