Tirons le meilleur parti d'une occasion historique Trois principes pour redessiner les contours du cadre économique et financier mondial -- Discours prononcé par Dominique Strauss-Kahn, Istanbul, 2 octobre 2009

le 2 octobre 2009

Discours prononcé par Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du Fonds monétaire international
Ҫıraǧan Palace, Istanbul, 2 octobre 2009


Je suis très heureux d'être ici avec vous aujourd'hui. Je tiens tout d'abord à remercier le Gouverneur Yilmaz et la Banque centrale de Turquie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous, et le «Reinventing Bretton Woods Committee» pour son concours dans la préparation de cette rencontre. Je voudrais aussi remercier, plus généralement, le gouvernement de la Turquie et, bien entendu, la ville et la population d'Istanbul qui ont bien voulu être les hôtes de l'assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale.

Il y a quelques semaines à peine, c'était le premier anniversaire de la chute de Lehman Brothers. L'année qui s'est écoulée depuis ce jour a été incroyablement difficile, et pendant plusieurs années encore, nous allons devoir affronter les conséquences de la crise. Mais cette terrible crise est aussi pour nous une occasion historique de remodeler le cadre économique et financier mondial – et de jeter ainsi les bases d'une croissance économique vigoureuse et durable pour les années à venir.

Les décisions qui ont été prises récemment au sommet du G-20 sont extrêmement importantes à cet égard. Elles offrent au monde les outils qui permettront d'adapter la coopération économique mondiale aux besoins du XXIème siècle, en accordant en particulier une représentation plus large aux économies émergentes dans les instances de décision et en conférant une nouvelle mission au FMI. Les dirigeants du G-20 ont aussi décidé de donner au FMI les moyens de se mettre au service de cette entreprise, en prenant l'engagement de procéder à un rééquilibrage des quotes-parts qui contribuera dans une large mesure à renforcer sa légitimité, et partant, son efficacité.

Je crois que nous pouvons aller encore plus loin. Il y a soixante ans, après les catastrophes que furent la Grande Dépression et la seconde guerre mondiale, les dirigeants du monde entier se sont réunis pour créer un nouvel ordre mondial et pour promouvoir la paix et la coopération économique ; c'est ainsi que furent créées l'Organisation des Nations Unies et les institutions de Bretton Woods.

La situation aujourd'hui offre à nos dirigeants une occasion analogue : sortir le monde de la crise financière et procéder à des changements fondamentaux et durables dans l'intérêt des générations à venir. En reconnaissant qu'un monde intégré exige une coopération à l'échelle internationale dans le domaine économique et financier, nos dirigeants se sont engagés à agir dans un cadre rénové et de façon plus concertée — afin de promouvoir la paix et la prospérité dans le monde entier.

Au moment de relever le défi qui consiste à redessiner le cadre économique et financier mondial, il est essentiel de ne pas perdre de vue notre principal objectif, à savoir parvenir à une croissance équilibrée et, partant, durable. Nous devons trouver les moyens d'en finir une fois pour toutes avec les alternances d'expansions et de récessions aux effets dévastateurs qui ont caractérisé ces dernières décennies.

Trois principes devraient à mes yeux guider nos efforts pour redéfinir dans cette optique le monde de l'après-crise :

● Premièrement, la collaboration internationale est essentielle.

● Deuxièmement, la stabilité financière exige une amélioration de la réglementation et de la supervision.

● Et troisièmement, le système monétaire international doit être plus stable et avoir pour point d'ancrage un prêteur global de dernier ressort.

I. Contexte économique et perspectives

Permettez-moi de commencer par quelques mots sur le contexte économique et les perspectives à court terme. Cela me permettra de préparer le terrain pour les remarques que je veux faire ensuite sur les impératifs qui s'imposent à l'action publique.

On ne saurait trop exagérer les dégâts causés par la crise. Les marchés d'actifs se sont écroulés dans le monde entier, liquidant du même coup l'épargne de millions de citoyens ordinaires. L'activité économique mondiale et le commerce international ont connu leur plus fort ralentissement depuis la seconde guerre mondiale. Le chômage dans les économies de l'OCDE a battu tous les records de l'après-guerre. Et dans les pays à faible revenu, ce sont quelque 90 millions de personnes qui sont tombées dans la misère à cause de la crise.

Heureusement, l'économie mondiale a déjà entamé le chemin de la reprise. Mais la croissance sera lente — environ 3 % en 2010 — et fragile, même si les risques semblent s'estomper. Et à moyen terme, il est probable que la croissance restera modeste, plus encore que lors des sorties de crise précédentes, étant donné les dégâts énormes et durables que la crise financière a provoqués.

Quels sont les risques les plus à craindre pour l'an prochain ? Le plus grave serait que la reprise fasse long feu. Cela pourrait se produire si la demande privée dans les économies avancées s'avérait trop faible pour prendre le relais et tirer à son tour la croissance, une fois que les mesures de relance et la reconstitution des stocks – jusqu'ici à l'origine de la reprise – commenceront à s'essouffler. Il y a aussi un risque de retournement sur les marchés financiers, en particulier si les prêts improductifs atteignent des niveaux plus élevés que prévu. Bien sûr, la situation pourrait aussi évoluer dans un sens plus favorable : après tout, on a déjà eu quelques bonnes surprises ces derniers mois.

Ce qui va certainement empirer, en revanche, c'est le chômage. Il ne s'agit pas seulement dans ce cas d'un problème de nature économique, aux effets néfastes pour la demande, mais aussi d'un problème social qui a de graves conséquences pour les familles et les collectivités dans lesquelles elles vivent. La crise a déjà privé environ15 millions de personnes de leur emploi dans les économies avancées — et cela ne s'arrêtera pas là car le chômage va encore progresser l'an prochain. Beaucoup de pays ont déjà réussi à limiter les pertes d'emplois grâce à des mesures en faveur de la demande de travail — allégements temporaires des charges sociales patronales et indemnisation du chômage partiel, par exemple. D'autres devraient en faire autant. Les politiques actives du marché du travail comme l'aide à la recherche d'emploi et la formation, ont aussi un rôle à jouer. Enfin, il faudrait faire davantage pour préserver du chômage et de ses conséquences les groupes les plus pauvres de la population active. Je pense ici à des mesures comme le crédit d'impôt au titre des revenus du travail ou autres aides de même nature.

Étant donné les risques que je viens de mentionner, il est indispensable de maintenir en place les mesures de soutien macroéconomique et financier jusqu'à ce qu'une reprise durable de l'activité, j'entends par là une reprise capable de faire réellement reculer le chômage, soit en vue. Je suis donc très encouragé par la promesse que les dirigeants du G-20 ont faite à Pittsburgh d'éviter tout abandon prématuré des politiques de relance.

Cela ne veut pas dire pour autant que les pays ne doivent pas dès à présent se préparer à retirer, à terme, les mesures de soutien qu'ils ont prises pour faire face à la crise. Au contraire, cette préparation est indispensable pour garantir la crédibilité des politiques macroéconomiques au cours de la période à venir, et notamment pour répondre aux préoccupations légitimes qui s'expriment quant à la viabilité des finances publiques.

II. La collaboration internationale est essentielle

Permettez-moi maintenant d'évoquer les trois principes qui peuvent guider nos efforts pour construire un meilleur système économique et financier mondial.

Le premier : la collaboration internationale sur le plan des politiques à mettre en œuvre doit être une composante essentielle de l’économie mondiale après la crise. Cette collaboration a joué un rôle déterminant dans la résolution de la crise, et elle demeurera essentielle pour parvenir à une croissance forte, durable et équilibrée.

Tout au long de l'an dernier, nous avons vu comment l'action rapide et résolue des responsables du monde entier a réussi à éviter une crise beaucoup plus grave. La décision d'adopter un plan de relance budgétaire et monétaire coordonné a permis d'enrayer le déclin de la production et de stabiliser les marchés financiers, et la concertation entre les pays a également abouti à l'adoption de vastes réformes dans le secteur financier.

Alors que la reprise économique se dessine, il est impératif que les pays continuent de travailler ensemble pour faciliter le retour à des conditions économiques plus normales. Contrairement à ce qui s'est passé pendant la crise, cependant, où il était logique que toutes les mesures de relance soient mises en œuvre au même moment, je pense que les politiques de normalisation, elles, vont s'échelonner différemment d'un pays à l'autre. Tout dépendra, en fait, du rythme de la reprise économique et du degré de rétablissement du secteur financier, ainsi que de la marge de manœuvre disponible. Quoi qu'il en soit, je suis fermement convaincu que le retrait des mesures de soutien adoptées pour faire face à la crise devrait obéir à des principes communs à tous les pays.

A plus long terme, la collaboration internationale demeurera essentielle pour parvenir à une croissance économiques plus équilibrée, et par conséquent plus durable. Chaque pays aura son rôle à jouer à cet égard. Certains devront épargner davantage et il faudra que d'autres prennent des mesures pour accroître la demande intérieure, y compris dans le cadre de réformes structurelles.

Dans la sphère financière, la crise a clairement démontré que du fait de l'interdépendance globale des établissements et des marchés, il était impossible d'agir unilatéralement dans un pays sans que cela ait des conséquences au-delà des frontières. Dans le monde de l'après-crise le risque est que certains pays soucieux de protéger leur économie et leur système des chocs extérieurs ne cherchent à isoler complètement leurs institutions et à se retirer des marchés mondiaux. Les inquiétudes que cela révèle sont à prendre au sérieux. C'est pourquoi nous devons redoubler d'efforts pour trouver les moyens de faire en sorte que tous les pays bénéficient d'une intégration financière accrue, tout en veillant à éviter les phénomènes de contagion potentiellement dangereux.

Au sommet de Pittsburgh, les dirigeants du G-20 ont marqué leur ferme détermination à promouvoir la collaboration internationale dans de nombreux domaines. Surtout, ils ont décidé de mettre en place un «cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée» dont l'un des éléments clés sera un processus d'évaluation mutuelle fondé sur la coopération — un «examen par les pairs» de leurs cadres de politique économique et des retombées que ceux-ci pourraient avoir pour la croissance mondiale. Les dirigeants du G-20 sont également convenus de veiller à ce que le système de régulation des banques et des autres établissements financiers mette un frein aux excès qui ont conduit à la crise.

Le G-20 a confié un rôle important au FMI dans le cadre de cette collaboration internationale. Il nous a été demandé de contribuer au processus d'évaluation mutuelle en mettant au point les outils d'analyse nécessaires pour déterminer de façon prospective si les politiques des différents pays constituent un ensemble compatible avec des trajectoires de croissance plus durables et plus équilibrées pour l'économie mondiale. A ce propos, les dirigeants ont en outre noté que le processus d'évaluation mutuelle ne pourrait vraiment porter ses fruits que s'il s'appuyait sur une analyse sincère, indépendante et équilibrée de leurs politiques — et c'est sur ce point précisément qu'ils ont fait appel au concours du FMI.

Cette nouvelle responsabilité s'inscrit dans le droit fil de notre mandat, qui confie au Fonds la tâche de vérifier la cohérence des politiques de tous les pays membres et leur impact sur la stabilité du système économique et financier mondial. C'est cette mission de surveillance qui nous permet d'apporter des contributions décisives au débat économique international — comme nous l'avons fait par exemple en prônant une stimulation budgétaire rapide et de grande ampleur pour atténuer la crise.

Malheureusement, nos recommandations n'ont pas toujours abouti à la mise en œuvre de mesures effectives. De ce point de vue, l'examen par les pairs que demande le G-20 serait donc un outil supplémentaire à même de renforcer le dispositif de surveillance du FMI. Pour que celui-ci ait plus d'impact, un effort pourrait être fait, notamment, pour mieux tirer parti de la dimension internationale de nos travaux ou encore pour imaginer de nouvelles formes d'intervention, comme l'exercice d'alerte avancée que nous avons mis au point en collaboration étroite avec le Conseil de stabilité financière et qui porte tout particulièrement sur les facteurs de vulnérabilité et les risques extrêmes.

III. La stabilité financière exige une amélioration des systèmes de réglementation et de supervision

Le deuxième grand principe découle de la leçon la plus évidente de la crise, à savoir la nécessité, pour assurer la stabilité financière, d'améliorer les systèmes de réglementation et de supervision.

Parmi les nombreux facteurs qui ont contribué à la crise, la défaillance des mécanismes de régulation et de supervision porte une lourde responsabilité. Même quand il existait des réglementations appropriées, elles auraient pu être appliquées de façon beaucoup plus stricte. Et comme, en général, l'accent était mis sur les risques encourus au niveau des établissements ou des marchés à titre individuel, on a sous-estimé la possibilité d'une accumulation de risques systémiques. A cela sont venus s'ajouter des problèmes de supervision, car une confiance exagérée dans la fiabilité du secteur privé s'est traduite par un grave relâchement des contrôles.

Ce constat est aujourd'hui largement partagé et c'est de là que sont parties les réformes auxquelles nous assistons actuellement. Des progrès importants ont déjà été faits sur plusieurs plans, notamment en matière de contrôle prudentiel, de gestion des risques, de transparence, d'intégrité du marché et de coopération internationale.

Mais il ne faut pas s'arrêter là. Dans le communiqué du sommet de Pittsburgh, les dirigeants du G-20 appellent à accélérer les progrès dans plusieurs domaines à mes yeux essentiels pour mettre sur pied un nouveau cadre réglementaire capable d'assurer la stabilité du secteur financier sans étouffer l'innovation.

● Ils se sont engagés à mettre au point, d'ici la fin de 2010, des règles internationales destinées à renforcer le capital des banques, en quantité et en qualité, et à décourager les effets de levier excessifs.

● Ils souscrivent aux recommandations du Conseil de stabilité financière concernant les pratiques en matière de rémunération, qui visent à lier les rémunérations à la création de valeur à long terme et à éviter la prise de risques excessifs.

● Ils appellent à améliorer les marchés de gré à gré de produits dérivés grâce à des mesures propres à accroître la transparence, à limiter les risques systémiques et à prévenir les pratiques commerciales abusives.

● Enfin, ils entendent réaliser des avancées significatives, également d'ici la fin de 2010, sur les questions liées au traitement international des institutions et au problème des institutions financières d'importance systémique.

Dans l'immédiat, nous devons agir plus vite pour assainir les bilans des banques. Cette opération est importante parce que les institutions financières qui ploient encore sous le fardeau de leurs actifs dépréciés et illiquides ralentissent la création de crédit, ce qui a des répercussions inquiétantes pour la croissance. De plus, il faudrait soumettre les banques à des tests de résistance dans plusieurs pays où cela n'a pas encore été fait, afin de savoir exactement où il y aurait lieu d'injecter plus de capital — et où des problèmes risquent d'apparaître dans l'avenir.

Pour que le mécanisme de l'intermédiation bancaire recommence à fonctionner, il faut aussi faire repartir les marchés de titrisation. Certes, depuis le début de la crise, ces marchés ont une très mauvaise réputation — après tout, c'est bien à cause de prêts hypothécaires titrisés, les fameux subprimes, que tout a commencé. Cependant, à condition d'être correctement encadrés, ces marchés peuvent rendre de grands services : ils permettent de diversifier le risque de crédit en le transférant en dehors du secteur bancaire et ils offrent une source de financement supplémentaire.

Que faut-il retenir des leçons de la crise récente pour l'essor du secteur financier dans les pays émergents et dans les pays en développement ? Il serait tentant de dire que le modèle financier «moderne» mérite de finir dans les poubelles de l'histoire — et que, par conséquent, il conviendrait de mettre un terme à la financiarisation des économies. Mais on aurait tort de tirer cette conclusion. En faisant se rencontrer épargnants et investisseurs par l'intermédiaire des banques et des marchés de capitaux — à l'intérieur des pays et entre eux — de façon toujours plus efficace, le secteur financier a apporté un soutien vital à la croissance économique. Il serait souhaitable qu'il puisse continuer à jouer ce rôle dynamique — à l'intérieur d'un cadre, bien entendu, qui permette de prévenir les risques excessifs tout en rétribuant comme il se doit l'innovation et l'effort.

A l'évidence, ce programme de réforme du système financier est tout à la fois ambitieux et complexe, et il faudra du temps pour voir se concrétiser des progrès significatifs. Mais n'oublions pas que le temps est l'ennemi de la réforme. Je crains beaucoup qu'une fois les marchés financiers remis d'aplomb, la vigilance ne se relâche. C'est pourquoi je pense que la régulation du système financier international doit être guidée par une vision claire de l'avenir, une vision qu'il importe de définir de toute urgence afin de réduire l'incertitude et de restaurer la confiance.

Si aucune nouvelle mesure contraignante n'est prise sur le plan réglementaire, il n'est pas impossible que des bulles spéculatives réapparaissent. Les liquidités massives qui ont été injectées dans le système en réponse à la crise — véritable bouée de sauvetage pour le secteur financier — sont maintenant à la disposition d'investisseurs en quête de rendements élevés, notamment sur les marchés émergents. Ces flux ne sont pas nocifs en tant que tels, mais ils font néanmoins courir le risque d'un brusque retournement, du point de vue de la disponibilité du capital, lorsque l'heure du resserrement monétaire aura sonné dans les économies avancées. Les institutions financières d'importance systémique, qui se sont encore agrandies du fait des regroupements intervenus durant la crise, sont une autre source de danger. Il est donc urgent que de nouvelles règles et de nouvelles réglementations soient mises en place pour circonscrire les risques particuliers que ces établissements font peser sur le système financier et sur l'économie dans son ensemble.

Le FMI n'est pas le régulateur de la finance mondiale. Mais les efforts que nous déployons actuellement pour améliorer notre dispositif de surveillance du secteur financier pourraient nous aider à jouer ce rôle. C'est dans cette optique que nous avons modernisé notre Programme d'évaluation du secteur financier en recentrant les analyses que nous effectuons dans ce contexte de manière à les rendre à la fois plus précises, plus souples et plus rigoureuses.

L'histoire nous offre aujourd'hui l'occasion de réaménager le cadre réglementaire du secteur financier, il serait impardonnable de ne pas en profiter. A nous à présent de bâtir un système plus sûr, plus stable, et capable de soutenir la croissance économique sur le long terme.

IV. Un système monétaire international renforcé, avec un prêteur mondial de dernier recours

Pour finir, permettez-moi de proposer un troisième grand principe pour l’économie mondiale de l’après-crise - à savoir la nécessité de disposer d’un système monétaire international stable, s’appuyant sur un prêteur mondial de dernier ressort. Ces dernières années, nous avons assisté à une très forte augmentation des réserves de change officielles, surtout dans les pays émergents, mais aussi dans les pays en développement. Globalement, les réserves de change sont passées d’environ 2.000 milliards de dollars EU à la fin des années 90 à plus de 8.000 milliards de dollars aujourd’hui. Qu’est-ce qui a motivé cet accroissement? À mon avis, l’absence d’une assurance adéquate pour se prémunir contre des arrêts soudains des flux de capitaux privés en a été la cause primordiale.

En théorie, le FMI aurait dû être en mesure de fournir l’assurance financière réclamée par ces pays. Or, les inquiétudes quant au montant des financements que l’institution pouvait apporter, de même que les conditions qui leur sont liées, les ont incité à se créer leur propre assurance.

Cette auto-assurance - par opposition à une assurance financière collective -, est cependant coûteuse. Pour les pays, l’investissement dans les réserves de change est inefficace en raison des autres investissements, dans l’éducation ou l’infrastructure par exemple, auxquels ils renoncent, et dont le rendement social pourrait être nettement plus élevé. L’auto-assurance complique également la politique monétaire et de change, car l’accumulation de réserves va de pair avec l’injection de liquidités nationales dans le système, ce qui risque d’attiser l’inflation.

Elle a aussi été coûteuse au plan international. Les pays désireux de développer leurs réserves à titre de protection contre les sorties de capitaux ont généralement suivi des stratégies de croissance fondées sur des activités d’exportation qui ont produit des excédents courants. Ceux-ci ont à leur tour alimenté des déséquilibres mondiaux toujours croissants, avec des conséquences préjudiciables pour la viabilité de la croissance économique et la stabilité du système monétaire international.

La période que nous venons de vivre a montré que des crises financières rapides et intenses peuvent donner lieu à une demande extraordinairement élevée de ressources officielles. Compte tenu des coûts associés à l’accumulation de réserves, un financement d’urgence sûr est à l’évidence nécessaire - et, par voie de conséquence, un prêteur mondial de dernier recours l’est aussi.

Je pense que le FMI est en mesure de fournir cette assurance de manière effective et fiable.

La communauté mondiale l’a déjà massivement confirmé dans le rôle d’institution la mieux à même de satisfaire aux besoins financiers des économies en crise. Lors du sommet qui s’est tenu en avril, le G-20 a appelé à un triplement des ressources de prêt du FMI, les portant ainsi à 750 milliards de dollars EU. Je suis heureux d’annoncer que nous avons déjà reçu des engagements à remplir cet objectif, et que nous devrions même le dépasser. Cela nous a permis de déployer des moyens financiers sans précédent pour soutenir un large éventail de pays, effaçant ainsi les doutes qui s’étaient manifestés quant à la capacité du FMI à répondre aux besoins financiers. À ce jour, les sommes que nous avons engagées représentent plus du double du montant que nous avions prêté pendant la crise asiatique.

Nous avons également apporté à nos instruments de prêt des modifications appréciables qui en améliorent la fiabilité. Avec l’instauration de la Ligne de crédit modulable, dite LCM, le FMI offre désormais un mécanisme d’assurance préventif aux membres qui appliquent des politiques vigoureuses. À ce stade, le Mexique, la Pologne et la Colombie y ont fait appel. Leur décision de contracter une assurance financière auprès du FMI a reçu un accueil favorable sur les marchés, comme en témoigne le rétrécissement des écarts de leurs titres souverains. De manière plus générale, les instruments de prêt du FMI tiennent désormais mieux compte de la situation dans les pays membres.

Enfin, pour augmenter la liquidité mondiale, nos membres ont avalisé une allocation de DTS équivalant à 283 milliards de dollars EU, dont 110 milliards sont allés aux pays émergents et en développement, renforçant ainsi à point nommé leurs réserves.

Les ressources qui ont été mises à disposition du FMI ou lui ont été promises ont joué un rôle extrêmement utile dans la stabilisation des marchés au moment où la crise était à son paroxysme. Il s’agit toutefois de ressources temporaires ou conditionnelles. Les 500 milliards de dollars EU pour de nouveaux prêts, en particulier, nous ont été apportés dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler les nouveaux accords d’emprunt, un système d’accords de crédit conclus avec certains pays membres et institutions. Ces accords sont temporaires, et doivent être reconduits tous les cinq ans. Ils sont également conditionnels, car ils ne sont activés que lorsqu’une crise est manifestement imminente ou déjà engagée. Ces conditions pourraient ajouter un élément d’incertitude quant à la disponibilité des financements du FMI en cas de crise. Et si nos nouvelles ressources se sont avérées suffisantes à ce stade, elles risquent de ne pas l’être pour garantir aux membres et aux marchés qu’elles le seraient lors de crises futures.

Compte tenu de cette incertitude, le FMI ne peut pas encore remplir de manière crédible une fonction de prêteur mondial de dernier ressort. Par ailleurs, du fait que la mise en place d’une assurance financière mondiale joue un rôle aussi crucial dans la prévention et la résolution des crises, une nouvelle augmentation des ressources disponibles de l’institution s’impose. Il est bien entendu difficile de déterminer le montant nécessaire – d’aucuns ont évoqué le chiffre de 1.000 milliards de dollars EU, d’autres estimant pour leur part que la base de ressources du FMI devrait être considérablement plus élevée. La question se pose également de savoir sous quelle forme ces nouveaux moyens seraient apportés. Dans un souci de crédibilité, une augmentation des quotes-parts, qui suppose de mobiliser d’autres ressources permanentes, constituerait une part importante de la solution. Dans le même temps, nous devrions aussi évaluer le rôle que pourraient jouer des dispositifs régionaux de mutualisation des réserves en tant que prestataires complémentaires d’assurance financière, et la coopération envisageable entre le FMI et ces dispositifs.

Nous pourrions en outre nous efforcer de trouver d’autres moyens de renforcer la stabilité du système monétaire international. Par exemple, pour remédier aux pressions sur la liquidité mondiale, nous pourrions procéder aux allocations de DTS en tenant mieux compte des évolutions mondiales, et en les adaptant davantage à la situation des pays.

Enfin, il nous faudrait trouver le moyen de mieux mettre nos ressources au service des membres. Une possibilité consiste à faire fond des bons résultats de la LCM et à améliorer la prévisibilité de l’accès aux financements du FMI en période de crise. On pourrait notamment envisager ici de faire de l’examen de l’admissibilité à la LCM un élément systématique de la surveillance courante. S’agissant des membres non admis à bénéficier de la LCM, nous pourrions envisager d’élaborer d’autres instruments conditionnels dont certains aspects auraient aussi un caractère automatique.

V. Conclusions

Il est encore un point que je souhaiterais aborder, qui revêt une importance majeure pour l’efficacité et l’utilité du FMI dans tous ses domaines de responsabilité : la réforme de la gouvernance.

Le FMI ne peut accomplir sa mission – qu’il s’agisse de la surveillance, de l’aide financière ou de l’assistance technique – que si tous ses membres voient en lui leur institution, au service de leur intérêt commun et de leurs objectifs stratégiques. Cette légitimité est essentielle si nous voulons que la surveillance qu’il exerce soit jugée équitable et indépendante et, partant, pour qu’elle soit efficace. Elle est aussi une condition sine qua non pour que le FMI assure de manière crédible la fonction de prêteur mondial de dernier ressort.

C’est pourquoi l’aval récemment donné par le G-20 à la modernisation de la gouvernance du FMI revêt une dimension véritablement historique. Les dirigeants se sont engagés à transférer au moins 5 % des quotes-parts des pays surreprésentés aux pays émergents et en développement dynamiques sous-représentés. La formule de calcul actuelle des quotes-parts servira de fondement à ces travaux. Les dirigeants se sont également engagés à protéger les pourcentages de vote des membres les plus pauvres de l’institution.

J’appelle nos 186 pays membres à faire preuve de diligence pour concrétiser ces engagements, avant janvier 2011 je l’espère. À cet égard, je les invite également à procéder rapidement à la ratification de la réforme des quotes-parts et de la représentation d’avril 2008.

D’autres réformes amélioreraient également la gouvernance du FMI. Nous devrions renforcer les réseaux au travers desquels les gouverneurs donnent à l’institution ses orientations stratégiques et lui demandent des comptes à cet égard. Nous devrions également veiller à ce que le choix du Directeur général du FMI, et de ses hauts responsables, s’effectue en fonction d’une procédure ouverte, transparente, et fondée sur le mérite.

Je suis fermement convaincu que ces réformes permettront au FMI de concourir de manière utile et durable à la mise en place d’un nouveau cadre économique et financier mondial. Celui-ci apportera la prospérité à la planète, et jettera en outre les bases d’une coexistence plus harmonieuse, et donc plus paisible, entre les peuples du monde entier.

À l’heure où nous unissons nos efforts pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui et relever les défis de demain, je citerai ces paroles de Kemal Atatürk, fondateur de la République de Turquie, qui, il y a 75 ans environ, disait : « les pays sont divers, mais la civilisation est une, et il faut participer de cette civilisation unique pour favoriser le progrès de la nation ».

Pour le bien de votre peuple, et pour celui de tous les peuples, poursuivons ensemble nos efforts, et tâchons de construire une économie mondiale stable et prospère.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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