Financement des économies africaines : observations de la Directrice générale en séance plénière

le 19 mai 2021

Mesdames, Messieurs, chers amis,

Les dirigeants et les amis de l’Afrique ont aujourd’hui un objectif commun :  faire en sorte que l’Afrique renoue avec les progrès remarquables en matière de développement dont nous avons été témoins avant la pandémie. Ils souhaitent aussi que le continent tire pleinement parti des profonds bouleversements qui rapprochent l’économie mondiale d’une croissance axée sur le numérique, sobre en carbone et résiliente au changement climatique.       

Il est urgent de placer le financement de l’Afrique au centre de nos préoccupations. L’année dernière, la récession provoquée par la pandémie a réduit le PIB du continent de 1,9 %, soit le pire résultat jamais enregistré. Cette année, nous prévoyons une croissance de 6 % au niveau mondial, mais de seulement la moitié (3,2 %[1]) en Afrique.

Cette divergence est dangereuse. C’est l’inverse qui devrait se produire :  l’Afrique doit enregistrer une croissance plus rapide que le reste du monde (de 7 à 10 %) pour répondre aux aspirations de sa jeune population et devenir plus prospère et plus sûre. 

Oui, ensemble, nous avons évité une crise économique bien plus grave. À présent, nous devons nous appuyer sur cette dynamique initiale pour mettre durablement fin à la pandémie et relancer la croissance en Afrique. En d’autres termes, nous devons administrer une injection d’équité : une injection dans le bras, pour tous et partout, et une injection pour un avenir meilleur. 

Quel est le prix de cette injection d’équité ? Au FMI, nous estimons que l’Afrique a besoin d’un financement supplémentaire d’environ 285 milliards de dollars d’ici à 2025 pour prendre des mesures adéquates face à la COVID-19. Sur ce montant, 135 milliards de dollars seraient destinés aux pays à faible revenu. Il s’agit du strict minimum. Pour faire plus, c’est-à-dire pour remettre les pays africains sur la voie de la convergence avec les pays riches, il faudra dégager une somme environ deux fois plus élevée. Nous publions aujourd’hui une note avec plus de précisions à ce sujet1.

Il s’agit là de montants considérables, qui peuvent sembler hors de portée. Mais « cela semble impossible tant que ce n’est pas fait », comme le disait Nelson Mandela. Voici trois domaines où nous pouvons agir dès maintenant.

Premièrement, mettre fin à la pandémie partout. Nous pouvons nous fixer pour objectif de vacciner au moins 40 % de la population de tous les pays d’ici à la fin de 2021, et au moins 60 % d’ici à la mi-2022.

Les arguments économiques sont indiscutables : pour un coût de 50 milliards de dollars, accélérer la vaccination peut faire augmenter la production mondiale de 9 000 milliards de dollars d’ici à 2025. Pour cela, il faudrait, entre autres mesures prioritaires, que les pays disposant de stocks excédentaires fassent don de 500 millions de doses de vaccin en 2021. Il faudrait également augmenter la capacité de production d’un milliard de doses au début de l’année 2022.

Deuxièmement, accroître le financement bilatéral et multilatéral du développement (dons et prêts concessionnels). Aujourd’hui, nous aurons l’occasion d’entendre des partenaires pour le développement de l’Afrique. Permettez-moi de définir le contexte et d’expliquer comment le FMI apportera sa contribution.

Au cours de l’année écoulée, nous avons rapidement augmenté nos financements en faveur du continent, en accordant notamment un montant 13 fois supérieur à la moyenne annuelle de nos prêts à l’Afrique subsaharienne. Et nous collaborons avec nos pays membres pour faire bien plus encore. Nous avons obtenu l’appui nécessaire pour augmenter les limites d’accès et ainsi accroître notre capacité d'accorder des prêts à taux zéro au moyen du fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (fonds fiduciaire RPC).

Nous estimons qu’une époque exceptionnelle exige une action exceptionnelle. Nos pays membres sont favorables au versement d’une allocation sans précédent de droits de tirage spéciaux (DTS) équivalente à 650 milliards de dollars, soit de loin la plus élevée de notre histoire. Une fois approuvée, ce que nous avons l’intention de faire d’ici à la fin du mois d’août, cette allocation permettra de mettre directement et immédiatement environ 33 milliards de dollars à la disposition de nos pays membres africains. Elle accroîtra leurs réserves et leurs liquidités, sans alourdir la charge de leur dette. 

En outre, je trouve très encourageant le fait que plusieurs pays avancés ou émergents aient fait part de leur intention de rétrocéder une partie de leurs nouveaux DTS à des conditions très favorables. Le faire par l’intermédiaire de mécanismes tels que le fonds fiduciaire RPC amplifiera les effets de l’allocation pour les pays dans le besoin. Au cours de l’année écoulée, nous avons acquis de l’expérience dans la facilitation de la rétrocession des DTS : nous avons ainsi réussi à tripler notre capacité d'octroyer des prêts concessionnels. Cela me donne confiance dans le développement de cette source de financement à faible coût pour répondre aux besoins considérables de l’Afrique, notamment en matière de vaccins.

Il faut compléter ces efforts par un allégement de la dette. L’initiative de suspension du service de la dette a été utile à cet égard. À présent, il convient de redoubler d’efforts pour rendre le cadre commun de résolution de la dette pleinement et rapidement opérationnel. Comme vous le savez, trois pays ont demandé à bénéficier de ce cadre : l’Éthiopie, le Tchad et la Zambie. J’espère que les discussions en cours sur le traitement de la dette du Tchad, le premier cas relevant du cadre, nous permettront de lancer cette démarche de manière constructive.

Troisièmement, agir sur le plan intérieur. Une crise offre l’occasion de procéder à des réformes internes porteuses de transformations qui permettent d’accroître les recettes intérieures, d’améliorer les services publics et de renforcer la gouvernance. Le passage au numérique, par exemple, peut améliorer l’administration fiscale, le recouvrement des recettes et la qualité des dépenses publiques. En outre, en faisant preuve d’une transparence absolue, l’Afrique peut également tirer parti de nouvelles sources de financement, notamment les compensations des émissions de carbone.

Les pays disposent d’une grande marge de manœuvre pour encourager l’investissement privé, notamment dans les infrastructures sociales et physiques. Dans une nouvelle étude du FMI, publiée aujourd’hui, il est souligné que les investisseurs nationaux et internationaux pourraient contribuer à un financement supplémentaire à hauteur d’au moins 3 % du PIB par an d’ici à la fin de la décennie.

Réformer la fiscalité internationale peut également favoriser la croissance de l’Afrique. Depuis longtemps, nous sommes favorables à la mise en place de taux minimaux d’imposition sur les sociétés afin de freiner un nivellement par le bas et de lutter contre l’évasion fiscale. Nous sommes également très favorables à un accord international sur la fiscalité du numérique, pour lequel la France joue un rôle de premier plan. Il est important de garantir une répartition équitable des recettes fiscales, afin qu’elles puissent contribuer à combler le déficit financier de l’Afrique. 

Pour conclure, je dirais qu’il appartient à chacun d’entre nous de se mobiliser. L’histoire ne nous a que trop bien enseigné ce qu’un choc de cette ampleur peut occasionner si la riposte n’est pas suffisamment forte et efficace : il peut nous faire perdre une décennie entière.

Lorsque j’étais enfant, je demandais conseil à mon père lorsque j’avais un choix important à faire. Sa réponse était toujours la même : fais ce qu’il convient de faire. Nous savons ce qu’il convient de faire : agir pour inverser la dangereuse divergence des trajectoires économiques que connaît l’Afrique aujourd’hui. Alors faisons-le.

Je vous remercie.



[1] Sans tenir compte de la Libye, qui a connu une forte augmentation ponctuelle de sa production de pétrole.