Liban : déclaration des services du FMI à l’issue de leur mission de 2023 au titre de l’article IV

le 23 mars 2023

Les déclarations de fin de mission présentent les observations préliminaires des services du FMI au terme d’une visite officielle (« mission ») le plus souvent dans un pays membre. Les missions sont effectuées dans le cadre des consultations périodiques (généralement annuelles) au titre de l’article IV des statuts du FMI, d’une demande d’utilisation (emprunt) des ressources du FMI, des entretiens sur les programmes de référence ou d’une autre forme de suivi de l’évolution économique des pays membres.

Les autorités ont consenti à la publication de la présente déclaration. Les avis exprimés dans ces conclusions sont ceux des services du FMI et ne représentent pas nécessairement ceux du conseil d’administration. Sur la base des observations préliminaires de cette mission, les services du FMI établiront un rapport qui, sous réserve de l’approbation de la direction générale du FMI, sera soumis à l’examen et à la prise de décision par son conseil d’administration.

Washington, DC: Une mission du Fonds monétaire international (FMI) s’est rendue à Beyrouth du 15 au 23 mars pour mener les consultations de 2023 au titre de l’article IV, évaluer la situation économique et examiner les priorités des pouvoirs publics.

Le Liban est à un moment particulièrement difficile. Depuis plus de trois ans, il est confronté à une crise sans précédent, avec de graves bouleversements économiques, une dépréciation spectaculaire de la livre libanaise et une inflation à trois chiffres qui ont des effets catastrophiques sur les vies et les moyens de subsistance des habitants. Le chômage et l’émigration ont considérablement augmenté et la pauvreté a atteint des niveaux historiquement élevés. Les prestations de services de base tels que l’électricité, santé publique et l’enseignement public ont été gravement perturbées, et les dispositifs fondamentaux d’aide sociale ainsi que les investissements publics se sont effondrés. En général, la capacite des administrations publiques a été gravement affaiblie. Les banques sont incapables d’accorder des crédits à l’économie et les dépôts bancaires sont pour la plupart inaccessibles aux clients. La présence d’un grand nombre de réfugiés exacerbe les défis du Liban.

En dépit de la gravité de la situation qui exige une action immédiate et décisive, la mise en œuvre du train complet de réformes économiques, désignée dans l’accord au niveau du personnel, a peu progressé malgré un certain nombre d’efforts déployés par les autorités. Cette inaction porte exagérément atteinte à la population à revenu faible à intermédiaire et nuit au potentiel économique à long terme du Liban. Le gouvernement, le parlement et la banque centrale (BdL) doivent ensemble et d’une manière accélérée prendre des mesures déterminantes pour remédier aux faiblesses institutionnelles et structurelles de longue date afin de stabiliser l’économie et de poser les jalons d’une reprise forte et durable.

L’économie reste profondément affaiblie. Après une contraction brutale de 40 % environ après le début de la crise, l’activité économique semble s’être légèrement stabilisée en 2022, sous l’effet d’une certaine reprise du tourisme, une poursuite du désendettement des entreprises privées et du maintien d’abondants envois de fonds ce qui a renforcé la consommation. Toutefois, de nombreuses tendances économiques restent négatives :

· L’inflation est à trois chiffres, portée par une dépréciation spectaculaire de la livre libanaise, qui s’explique par l’absence de confiance dans le système financier libanais, les augmentations considérables de la masse monétaire et les interactions complexes entre les circulaires de la Banque du Liban donnant lieu à des taux de change multiples et des arbitrages spéculatifs.

· L’effondrement des recettes budgétaires a imposé des réductions draconiennes et anarchiques des dépenses publiques au minimum. Toutefois, le gouvernement compte sur le financement de la banque centrale, l’accumulation d’arriérés et un certain niveau d’aide des donateurs pour soutenir un déficit budgétaire de plus de 5 % du PIB. Ce déficit pourrait être encore plus élevé, si les opérations quasi-budgétaires réalisées actuellement par la banque centrale sont prises en compte, notamment la fourniture de devises à des taux subventionnés.

· Le secteur bancaire est mis à très rude épreuve avec l’érosion des fonds propres des banques et de considérables pertes non réalisées qui se profilent à l’horizon.

· Après une nette amélioration en 2020-21, le déficit des transactions courantes s’est considérablement creusé, selon les estimations, pour atteindre plus de 25 % du PIB en 2022, notamment en raison des prix élevés du pétrole et des denrées alimentaires et de l’accélération des importations à la veille d’un ajustement prévu du taux de change à des fins fiscales. La faiblesse de la position extérieure et les décisions ponctuelles de politique monétaire ont entraîné une baisse constante des réserves de change à environ 10 milliards de dollars en décembre 2022 (en dehors de l’or), contre 36 milliards de dollars avant la crise.

Le Liban se trouve à un carrefour dangereux et, sans réformes, il s’enlisera dans une crise interminable. La pauvreté et le chômage resteront élevés et le potentiel économique continuera de reculer. Un maintien du statu quo continuerait de saper la confiance dans les institutions du pays et de nouveaux retards dans la mise en œuvre des réformes maintiendraient l’économie en crise, avec des conséquences irrémédiables pour l’ensemble du pays, mais surtout pour les ménages à revenu faible à moyen. Une forte incertitude affaiblira encore la position extérieure et la BdL continuera de perdre de rares réserves de change. La dépréciation du taux de change et la spirale inflationniste se poursuivront sans relâche, accélérant la dollarisation en liquide déjà prononcée de l’économie. L’informalité continuera d’augmenter, réduisant les possibilités de recettes fiscales et obligera à réduire davantage les dépenses budgétaires, tout en augmentant le risque de voir des activités illicites s’installer durablement dans l’économie. Le large déficit financier dans le secteur bancaire n’est pas reconnu et traité de façon crédible, les banques ne seront pas en mesure de fournir un crédit efficace pour venir en aide à l’économie, et les petits déposants continueront de subir d’énormes pertes sur leurs retraits en devises, tandis que les dépôts moyens et plus importants resteront bloqués indéfiniment. L’émigration, en particulier de travailleurs qualifiés, pourrait s’accélérer, mettant davantage en péril les perspectives de croissance future.

Une autre voie est possible pour conduire à la stabilité et à la croissance. La mission a souligné l’urgence de mettre en œuvre le train de réformes complètes suivant :

  • Mettre en place une stratégie budgétaire à moyen terme pour rétablir la viabilité de la dette et créer une marge de manœuvre afin d’augmenter les dépenses sociales et en faveur du développement. La première étape devrait consister à adopter une loi de finances 2023 qui prévoit un taux de change du marché unifié aux fins douanières et fiscales et un ajustement de taxes spécifiques en fonction de l’inflation, et qui entame le processus de rétablissement de l’administration publique. Cette loi de finances devrait également prévoir le financement nécessaire des dépenses sociales essentielles et lancer d’importantes réformes du secteur public qui, au fil du temps, amélioreraient son efficience. Les années suivantes, le renforcement des finances publiques impliquerait des réformes visant à accroître les recettes, qui reposent sur l’élargissement de l’assiette des impôts, la suppression des niches fiscales existantes et l’amélioration de la conformité fiscale de tous les contribuables en renforçant et en modernisant l’administration fiscale. Les mesures visant à accroître les recettes sont cruciales pour permettre une augmentation progressive des dépenses prioritaires en faveur de la protection sociale et du développement à des niveaux plus appropriés. Cette stratégie budgétaire globale devrait être soutenue par des réformes visant à éliminer les pertes des entreprises publiques et à supprimer progressivement les transferts du budget, en particulier vers le secteur de l’énergie, à améliorer l’administration publique et à faire avancer les réformes pour un système de retraite pérenne. Un rééquilibrage budgétaire progressif sera essentiel pour compléter la restructuration indispensable de la dette qui devrait viser à ramener l’endettement public à un niveau soutenable à moyen terme.
  • Procéder à une restructuration crédible du système financier pour rétablir sa viabilité et favoriser la reprise économique. Il convient pour cela de reconnaître et de traiter d’emblée les pertes considérables subies par la banque centrale et les banques commerciales, de respecter la hiérarchie des créances, de protéger les petits déposants et de limiter le recours au secteur public compte tenu de son niveau actuel d’endettement qui n’est pas soutenable. Les banques viables devraient être restructurées et recapitalisées selon un calendrier assorti de délais précis, et les banques non viables devraient sortir du marché. La mise en œuvre effective de cette stratégie implique de modifier la loi sur le secret bancaire pour remédier aux faiblesses critiques persistantes, malgré les importantes améliorations apportées par la récente réforme. Plus précisément, les organismes compétents devraient avoir accès aux données sur les transactions et les dépôts au niveau des particuliers. En outre, le cadre juridique et institutionnel de la banque centrale et des autres autorités bancaires devrait être modernisé pour renforcer la gouvernance et la responsabilité afin de rétablir la confiance dans les institutions. Pour accroître la transparence, l’audit spécial de la banque centrale devrait être publié.
  • Unifier les taux de change et resserrer la politique monétaire pour rétablir la crédibilité et améliorer la position extérieure de l’économie. Cette unification supprimerait les distorsions préjudiciables, éliminerait les possibilités de recherche de rente, réduirait les pressions sur les réserves de change de la banque centrale et ouvrirait la voie vers un taux de change déterminé par le marché. Ce processus devrait s’accompagner de contrôles temporaires des capitaux pour contribuer à protéger les ressources limitées en devises du système financier, nécessaires pour garantir une solution équitable aux déposants. Afin de contribuer à réduire l’inflation après l’unification des taux, une politique monétaire stricte devrait recourir à tous les outils disponibles et le financement du gouvernement par la banque centrale devrait être strictement interdit. Les interventions sur le marché des changes devront être très limitées et uniquement dans le but de remédier aux conditions chaotiques du marché.
  • Entreprendre des réformes structurelles ambitieuses pour compléter les mesures économiques et créer un environnement propice à une croissance plus forte.

o Renforcer le cadre de gestion des finances publiques (GFP) pour assurer un contrôle adéquat des finances publiques, renforcer la discipline budgétaire et améliorer la transparence du processus budgétaire. L’instauration d’une loi moderne sur la GFP fournirait une stratégie globale de réformes qui devrait inclure le renforcement des contrôles internes et externes, l’élaboration d’un cadre budgétaire à moyen terme, une utilisation restreinte des avances du Trésor et la mise en place d’un compte unique du Trésor entièrement intégré.

o Réformer les entreprises publiques pour assurer la bonne gouvernance, la transparence, la viabilité financière et opérationnelle, une meilleure prestation de services et pour contenir les risques budgétaires. La première étape consisterait à élaborer un inventaire exhaustif des entreprises publiques et à achever et publier les audits financiers des plus grandes d’entre elles, puis dans un second temps il conviendrait d’élaborer une stratégie d’actionnariat qui définirait les objectifs stratégiques et les principes de surveillance et de gestion des entreprises publiques. En outre, il sera essentiel de remédier aux problèmes de longue date dans le secteur de l’électricité en mettant rapidement en œuvre les réformes sectorielles déjà approuvées par le conseil des ministres en mars 2022.

  • Renforcer les dispositifs de gouvernance, de lutte contre la corruption et de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) pour regagner la confiance de la population dans les politiques gouvernementales et favoriser une croissance inclusive. Le diagnostic de gouvernance en cours fournira la feuille de route de la réforme, notamment pour renforcer l’indépendance et l’intégrité du système judiciaire et pour améliorer la responsabilité dans l’ensemble du secteur public. En outre, la loi des achats publiques promulguée qui est en accord avec les meilleures normes internationales devrait être mise en œuvre rapidement, en commençant par la pleine fonctionnalité de l’Autorité des achats publics et de la plate-forme de passation des marchés en ligne.

Le FMI reste déterminé à soutenir le Liban et continue de collaborer étroitement avec les autorités en leur apportant ses conseils en matière de politiques publiques et son assistance technique. La collaboration et le soutien des partenaires multilatéraux et bilatéraux sont également essentiels au succès de la mise en œuvre des efforts de réforme des autorités. Toutefois, ce soutien dépendra également de l’engagement du Liban et de la mise en œuvre résolue d’un programme de réformes complet et ambitieux. À cet égard, nous saluons la volonté des autorités de travailler avec le FMI et d’autres partenaires internationaux pour mettre en œuvre des mesures visant à relever les défis actuels et à placer l’économie libanaise sur une trajectoire durable, notamment dans le cadre d’un programme appuyé par le FMI.

La mission tient à remercier les autorités libanaises et tous ses autres homologues de leur étroite collaboration, leur dialogue constructif et leur hospitalité.

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