Typical street scene in Santa Ana, El Salvador. (Photo: iStock)

(photo : Sultan Mahmud Mukut/SOPA Image/Newscom)

Bulletin du FMI : La réforme des subventions de l’électricité peut être très bénéfique pour l’économie

le 27 mars 2013

  • Le coût des subventions en 2011est estimé à 1.900 milliards de dollars
  • Il est indispensable de prévoir des measures pour protéger les plus démunis
  • Les réformes peuvent lever les obstacles à la croissance économique

Dans un rapport récent, le FMI exhorte les gouvernants du monde entier à réformer les subventions de toute une gamme de produits allant du charbon à l’essence.

Nairobi, Kenya. À la suite des réformes, les subventions de l’électricité sont tombées de 1,5 % du PIB en 2001 à zéro en 2008 (photo: Tony Karumba/Newscom)

Nairobi, Kenya. À la suite des réformes, les subventions de l’électricité sont tombées de 1,5 % du PIB en 2001 à zéro en 2008 (photo: Tony Karumba/Newscom)

CROISSANCE ÉCONOMIQUE EN PROGRÈS

Les subventions visent à protéger les consommateurs en maintenant les prix bas. Mais, selon beaucoup de spécialistes, les subventions sont inefficientes et pourraient être remplacées par d’autres mesures pour protéger les consommateurs dans le besoin. D’après le FMI, c’est faisable si les pouvoirs publics choisissent une stratégie de réforme appropriée, qui a l’avantage supplémentaire de soulager la pression sur les finances publiques.

L’étude du FMI a été menée par des experts des départements géographiques et de cel il faut aussi ui des finances publiques. Carlo Cottarelli, Directeur du Département des finances publiques, Masood Ahmed, Directeur du Département Moyen-Orient et Asie centrale, et Antoinette Sayeh, Directrice du Département Afrique, expliquent ce que ce rapport signifie pour les travaux du FMI dans les pays et pour les pays eux-mêmes.

Bulletin du FMI : C’est votre département qui a dirigé la production de ce rapport. Quelles en sont les principales conclusions? Est-ce que les recommandations valent pour tous les pays qui ont un système de subventions?

Cottarelli : Les subventions posent problème dans presque tous les pays du monde. Même dans les pays qui imposent des taxes énergétiques, les recettes qu’elles rapportent sont rarement suffisantes pour remédier à tous les effets néfastes de la consommation excessive d’énergie, sur l’environnement en particulier. D’après notre nouvelle base de données portant sur 176 pays, nous estimons que le coût des subventions s’élevait en 2011 à 1.900 milliards de dollars, soit l’équivalent d’environ 2½ % du PIB mondial, ou de 8 % de l’ensemble des recettes publiques.

Puisque les subventions énergétiques sont omniprésentes et budgétairement coûteuses, il nous semble qu’il serait bon de les réformer, non seulement dans les pays émergents et en développement, mais aussi dans les pays avancés. Les pays où les subventions sont les plus élevées sont les États-Unis (502 milliards de dollars), la Chine (279 milliards de dollars) et la Russie (116 milliards de dollars). Bien sûr, un pays qui entreprend ce type de réforme doit se préoccuper des retombées négatives qu’elle peut avoir pour les plus défavorisés, et y intégrer des mesures de protection adéquates. Cela vaut pour tous les pays.

Bulletin du FMI : Les subventions ont pour effet d’abaisser le coût de l’énergie pour les consommateurs — ce qui semblerait une bonne chose, surtout pour les plus pauvres. Pourquoi donc est-ce que le FMI préconise de les réformer?

Cottarelli : Les subventions coûtent cher et il faut que quelqu’un les paye au bout du compte. Certes, cela est vrai pour les dépenses de toutes sortes, mais les subventions énergétiques posent plusieurs problèmes particuliers. Tout d’abord, c’est un moyen très inefficace de protéger les pauvres, car les riches consomment plus d’énergie et ce sont donc eux qui en profitent le plus. En moyenne, parmi les ménages à revenu intermédiaire ou faible, les 20 % les plus aisés bénéficient six fois plus des subventions que les 20 % les plus démunis. Les pouvoirs publics devraient donc utiliser à meilleur escient le peu de munitions que renferme leur arsenal budgétaire pour aider plus directement les ménages pauvres.

Mais les effets des subventions ne se limitent pas à leur coût budgétaire. Elles constituent un frein puissant à la croissance. Par exemple, elles évincent les dépenses publiques en faveur des infrastructures, de l’éducation et de la santé, qui sont de nature à stimuler la croissance. L’énergie à bas prix peut aussi entraîner une surconsommation, qui aggrave les problèmes environnementaux tels que la pollution et le changement climatique.

Bulletin du FMI : Le Moyen-Orient regorge d’énergie et pourtant, beaucoup de pays de cette région continuent à la subventionner à tour de bras. Quel avantage ces pays auraient-ils à supprimer ou diminuer ces subventions?

Ahmed : Dans les pays riches en énergie, l’État subventionne l’énergie de manière à redistribuer la richesse que procurent les ressources naturelles. C’est un système simple, qui n’est cependant pas juste, car en y regardant bien, il est clair que ceux qui profitent le plus des subventions sont les plus aisés, qui consomment le plus d’énergie — les gens qui possèdent une voiture et qui ont la climatisation et des appareils électriques chez eux. Et, en plus des conséquences néfastes que Carlo vient d’évoquer, les subventions encouragent en général les activités à forte intensité de capital au détriment de celles qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre, ce qui est important même dans les pays qui produisent beaucoup d’énergie et n’ont pas tant à se soucier du coût budgétaire des subventions de l’électricité. Si une partie des ressources dégagées par la réforme des subventions étaient consacrées à des dépenses publiques plus productives pour l’éducation et la santé ou servaient à combler les lacunes des infrastructures, cela pourrait stimuler la création d’emplois sur le long terme sans accroître l’endettement du pays. Enfin, les subventions incitent à consommer plus et donc à extraire davantage de ressources naturelles, ce qui en laisse moins pour les générations futures.

Bulletin du FMI : Quelle sera l’incidence des conclusions du rapport sur les travaux du FMI au Moyen-Orient? Y a-t-il des obstacles significatifs qui freinent les réformes des subventions dans cette région?

Ahmed : Les subventions coûtent cher et grèvent lourdement des budgets publics déjà serrés dans plusieurs pays importateurs de pétrole, dont l’Égypte et la Jordanie. Parallèlement, les ressources consacrées à la santé, à l’éducation et aux investissements sont très limitées. Nous recommandons de remplacer les subventions universelles par des formes de protection sociale plus économiques et mieux ciblées. Il s’agit d’un processus complexe, tant techniquement que politiquement. Dans un certain nombre de pays, après avoir essayé de supprimer peu à peu les subventions, les autorités ont fait volte-face, à cause de la pression des groupes d’intérêt ou des vastes fluctuations des prix du pétrole. L’opposition des citoyens tient aussi à ce qu’ils ont peine à croire que les gouvernants sauront utiliser sagement les économies permises par la réforme des subventions.

Pour que les réformes recueillent l’appui nécessaire, il est indispensable d’avoir une bonne stratégie de communication et une transparence totale. Il est en outre crucial de dédommager immédiatement ceux qui souffrent le plus de la suppression des subventions par une protection sociale mieux ciblée. Lorsque le gouvernement mauritanien a instauré un nouveau mode de calcul du prix du diesel en mai 2012, il a pris soin d’inclure ce type de mesures ciblées dans le programme de réforme. Celle-ci a rencontré relativement peu d’opposition, bien que le prix du diesel ait augmenté de plus de 20 % en cinq mois. De même, en Iran, la réforme des subventions a été précédée d’une vaste consultation avec les parties prenantes et d’une campagne efficace de relations publiques.

Bulletin du FMI : S’il est vrai que les subventions énergétiques profitent aux consommateurs riches comme pauvres, ce sont les derniers qui pâtissent le plus de leur réduction ou de leur disparition. Comment protéger les plus démunis en pareil cas?

Sayeh : Comme l’ont déjà expliqué Carlo et Masood, il faut que la suppression des subventions s’accompagne de mesures ciblées pour dédommager ceux qui ont le plus besoin d’aide à cause de la hausse des prix. En principe, un transfert monétaire conditionnel en faveur des catégories de revenu les plus nécessiteuses est la meilleure solution — celle qu’ont choisie le Mozambique et le Gabon. Cependant, à moins qu’un système soit déjà en place, cela risque de ne pas être faisable dans l’immédiat à cause de contraintes administratives. On peut alors élargir le champ d’application d’un ensemble soigneusement sélectionné de programmes sociaux existants, éventuellement en les ciblant plus efficacement. Cela peut consister à accroître les transports publics par autobus, comme au Ghana; à distribuer de la nourriture aux catégories les plus vulnérables, comme en Namibie, ou à créer des programmes d’emploi des jeunes et des femmes, comme au Nigéria.

Une autre solution consiste à maintenir les subventions pour les produits dont les pauvres font une grosse consommation, tels que le pétrole lampant, ou l’électricité lorsque la consommation reste inférieure à un niveau donné. Le Nigéria a par exemple maintenu la subvention du pétrole lampant, mais supprimé celle de l’essence. Il y a aussi moyen de différencier les consommateurs à faible revenu et à haut revenu, par exemple en jouant sur le barème des taxes sur l’électricité, ou en aidant financièrement les consommateurs pauvres à acquitter les frais de raccordement, comme au Kenya, et ce genre de mesures peut aussi permettre de mettre les ménages à faible revenu à l’abri des hausses tarifaires.

Bulletin du FMI : Y a-t-il des secteurs particuliers dans lesquels les gouvernements africains tendent à subventionner l’énergie? Comment le travail du FMI dans la région va-t-il changer à la lumière des conclusions du rapport?

Sayeh : Les subventions des carburants sont beaucoup plus fréquentes dans les pays exportateurs de pétrole, et l’électricité est généreusement subventionnée peu ou prou dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Dans ce dernier cas, les subventions ont eu un effet dissuasif sur les investissements privés et empêché les compagnies publiques d’investir pour développer leurs capacités. De ce fait, la production d’énergie par habitant de l’Afrique subsaharienne n’a pas augmenté depuis le milieu des années 80, ce qui a nui à sa compétitivité. Sans une hausse significative des capacités de production d’électricité, l’Afrique subsaharienne ne peut pas maintenir son rythme de croissance économique actuel. Or, le coût de revient de la production d’électricité pour les compagnies publiques, qui est la cause principale des subventions, est élevé, de sorte que la réduction des subventions de l’électricité ne nécessite pas simplement une hausse du prix que paient les consommateurs, mais aussi une stratégie globale pour réduire les inefficiences, améliorer les taux de recouvrement et accroître les économies d’échelle, notamment en promouvant le commerce régional de l’énergie.

Certains pays ont une dette publique relativement peu élevée, et donc la possibilité de réaliser de gros investissements dans des sources moins onéreuses de production d’énergie. Le FMI doit continuer à aider les autorités nationales à évaluer les coûts réels, c’est-à-dire les coûts budgétaires et ceux qui sont liés à la compétitivité et à la croissance, ainsi qu’à déterminer qui profite vraiment des subventions énergétiques, et à les rendre tout à fait transparentes. Cela permettrait aux gens de prendre des décisions avisées sur les dépenses prioritaires et la portée à donner aux réformes.

Bulletin du FMI : Y a-t-il une «démarche optimale» pour mettre en œuvre les réformes des subventions énergétiques?

Cottarelli : Il n’y a pas de recette unique en la matière. Cela dit, ayant étudié le déroulement des réformes dans 19 pays différents, nous avons identifié six facteurs clés qui conditionnent leur succès. Premièrement, il faut élaborer un vaste plan de réforme, ce qui suppose que l’on définisse des objectifs à long terme précis, par exemple : libéralisation complète des tarifs et amélioration de la qualité des services. Deuxièmement, il faut une stratégie de communication de vaste portée, avec consultation des parties prenantes. Troisième élément : les hausses tarifaires doivent être bien programmées et échelonnées, ce qui permet aux ménages et aux pouvoirs publics d’ajuster leur consommation d’énergie. Quatrièmement, il faut prévoir des mesures pour protéger les plus démunis. Cinquièmement, il importe d’améliorer l’efficacité des compagnies nationales de services publics pour qu’elles grèvent moins le budget. Enfin, il est indispensable de dépolitiser le processus de fixation des prix de l’énergie pour que l’effet des réformes soit durable.