Réformer le système monétaire international - Allocution de M. Alassane Ouattara, Directeur général adjoint du Fonds monétaire international
le 6 mars 1999
Allocution de M. Alassane OuattaraDirecteur général adjoint du Fonds monétaire international
à la conférence sur les crises et la sécurité internationale
de l'Académie de la Paix et de la Sécurité Internationale
Monaco, le 6 mars 1999
C'est un honneur et un grand plaisir pour moi de me joindre à vous pour réfléchir à la meilleure façon de réformer le système financier international. D'aucuns appellent de leurs voeux une monnaie mondiale et la création de nouveaux organismes mondiaux; et là non plus, les suggestions ne manquent pas : banque centrale mondiale, commission mondiale de réglementation des marchés financiers, agence mondiale de garantie de la dette, agence mondiale de notation, tribunal mondial des faillites, tous à vocation planétaire. D'autres appellent le retour à un vaste système de contrôle des mouvements de capitaux alors que nombreux sont ceux qui pensent qu'il faut se garder de mettre la moindre entrave aux marchés de capitaux, afin d'éviter que le risque moral, "moral hazard" en anglais, ne régisse le comportement des investisseurs et des emprunteurs.
Pour les uns, la solution passe par un abandon de souveraineté nationale et la quasi création d'un gouvernement mondial tandis que d'autres exhortent les décideurs à ne pas tenter d'adoucir les rudes réalités des marchés d'aujourd'hui, mouvants et impitoyables. Ces suggestions sont-elles réalistes? Est-ce vraiment là notre objectif? Pour ma part, en tant que membre de la direction du FMI, mais aussi en tant qu'ancien responsable gouvernemental, j'ai tendance à opter résolument pour le pragmatisme. Après tout, l'économie politique — et c'est bien de cela qu'il s'agit ici —, comme la politique, n'est autre que l'art du possible.
Dans cette optique, permettez-moi d'énoncer brièvement les points d'entente, les sujets de désaccord et la place du FMI dans tout cela. Mais d'abord, un mot des leçons à tirer des crises récentes et de leurs effets de contagion, car ce sont ces événements qui ont motivé les appels au changement.
Les failles du systèmeLa crise qui a embrasé la Thaïlande, la Corée et l'Indonésie n'est pas que le résultat de politiques gouvernementales financièrement irresponsables, comme c'était couramment le cas des crises de balance des paiements du passé. Elle a eu d'autres causes : expansion excessive du crédit, floraison du copinage, manque de solidité du secteur financier, entre autres, faiblesses structurelles. Les trois tigres étaient particulièrement vulnérables au soudain revirement des investisseurs parce que leur endettement à court terme était considérable.
Mais les failles révélées si brutalement en Asie étaient plus profondes, en fait d'ordre systémique : il s'agissait d'une crise du système financier international. Le problème était que le système n'était pas encore assez développé pour réconcilier les besoins de tous les participants : les investisseurs, en quête de nouveaux débouchés, les économies de marchés émergents, à la recherche de ressources d'investissement, et les gouvernements, soucieux d'assurer que les marchés fonctionnent de manière efficace et dans la sécurité.
En définitive, l'économie mondiale a réussi à éviter une paralysie des marchés financiers et une pénurie générale de crédit, mais de justesse seulement, ce qui suscite des interrogations troublantes quant à la dynamique des marchés de capitaux internationaux. Et en premier lieu, pourquoi le non-respect de ses obligations par la Russie — disons les choses comme elles sont — a-t-il déclenché, en août dernier, une vague de réévaluation et de réappréciation des risques liés aux marchés émergents, partout dans le monde?
L'enjeu, nous en sommes convaincus, dépassait largement l'ampleur des pertes occasionnées par le défaut de paiement de la Russie. Ce qui importe bien plus, c'est qu'il a été l'événement décisif qui a ébranlé l'idée que l'on se faisait couramment des risques de défauts de paiements liés aux investissements sur tous les marchés émergents et de l'aptitude de la communauté internationale à secourir les pays en difficulté. La situation a sans doute été envenimée par ladécision de la Malaisie d'imposer le contrôle des changes, qui pouvait faire craindre que d'autres pays ne lui emboîtent le pas. Cela ne s'est pas produit, jusqu'à présent. En fait, bon nombre de pays émergents ont été prompts à réaffirmer leur attachement à l'ouverture des marchés de capitaux.
Deuxième grande question, pourquoi les remous ont-ils fait naître de graves tensions et occasionné de fortes hausses des marges d'intérêt sur crédit et d'amples mouvements des prix sur certains des marchés financiers les plus développés du monde, obligeant une des principales banques centrales à faciliter le sauvetage d'un fonds d'arbitrage, "Hedge Fund" en anglais? La cause en est, à notre avis, qu'une multitude d'investisseurs ont cherché en même temps à dénouer des positions hautement spéculatives. Et je veux insister ici sur le fait que les fonds d'arbitrage étaient loin d'être les seuls à avoir pris de telles positions. Même si nous ne disposons pas de données exhaustives, il semble bien que l'on en ait fait tout autant dans les salles de marché d'un bon nombre de grandes banques commerciale et d'investissements internationales.
Évidemment, cela amène une autre question troublante : comment d'énormes positions spéculatives ont-elles pu être accumulées par un grand nombre d'institutions financières, jusqu'à créer un degré inouï de risque systémique? Nous pensons que le manque de transparence, la mauvaise gestion interne des risques, les insuffisances du contrôle prudentiel, et le risque moral dû aux anticipations de renflouement en cas de faillite, y ont tous contribué.
Les remèdes
Que peut donc faire la communauté internationale pour moderniser le système afin de rattraper l'évolution foudroyante des marchés de capitaux mondiaux? À ce stade — c'est crucial, j'insiste là-dessus — les dirigeants financiers sont tombés d'accord sur sept éléments de base fondamentaux. La controverse, et elle est vive, porte sur un éventail de propositions concernant chacun de ces éléments. Le principe primordial, c'est qu'il faut améliorer la façon dont les pays exercent sur eux-mêmes contrôle et discipline, améliorer la nature des relations entre les banques et les emprunteurs, améliorer le mode de comportement des marchés, mieux adapter le FMI aux nouvelles réalités, renforcer les relations entre les organismes multilatéraux tels que le FMI et la Banque mondiale, autrement dit, améliorer ce qu'il est convenu d'appeler l'architecture du système monétaire international. Il me vient à l'esprit un proverbe d'Afrique de l'Ouest : "le début de la sagesse, c'est de se trouver un toit". En l'occurrence, le toit est la structure que nous essayons de donner au système afin qu'il soit assez solide pour l'économie planétaire de notre temps. Nous espérons, grâce à cette structure, prévenir les crises du genre de celles que nous avions connues ces dernières années, et mieux gérer les crises qui peuvent malgré tout inévitablement se produire. Voyons-en ensemble les sept éléments constitutifs.
Premièrement, de meilleures normes internationales. Il existe déjà bien des normes de saine pratique financière, mais les crises récentes ont démontré qu'il nous faut des normes plus efficaces. Deux impératifs donc : sensibiliser les pays à ce qui est universellement considéré comme de bonne pratique, qu'il s'agisse de la production de statistiques, de la conduite de la politique économique, ou de la conception des règles de contrôle; et ensuite contrôler l'application de ces normes. Cela ne signifie pas que les pratiques doivent être identiques dans tous les pays. Mais cela veut dire qu'ils seront jugés selon leur conformité par rapport à un même ensemble de règles internationales. Le FMI travaille dans cette optique sur plusieurs fronts:
Les normes, c'est le bâton. Mais quelle carotte offrir aux pays, et qui va se charger d'en contrôler le respect? Cela m'amène au deuxième élément : une plus grande transparence, principe qui vaut pour tous les acteurs sur la scène économique mondiale : le secteur public comme le secteur privé, les marchés financiers aussi bien que les institutions multilatérales. Imaginez un instant ce qui aurait pu se passer si nous avions su en temps voulu à quelle rapidité les réserves de change du Mexique s'épuisaient en 1994. Ou si nous avions su, beaucoup plus tôt, le rythme auquel les transactions à terme de la banque centrale de Thaïlande s'accumulaient en 1997. Ou si nous avions connu, à temps, le montant des réserves de change que la Corée prêtait aux banques commerciales coréennes en 1997. Ou encore si nous avions eu, à l'époque, une meilleure idée de l'endettement du secteur privé indonésien.
Il est indéniable que la diffusion d'informations à jour et détaillées peut prévenir l'accumulation de problèmes en forçant les gouvernements à prendre des mesures appropriées en temps opportun. Elle encourage, dans l'opinion publique, un débat et une réflexion plus larges sur la politique gouvernementale. Les décideurs sont davantage redevables de leur action et leur politique gagne en crédibilité, ce qui contribue à une meilleure gestion publique. Le fonctionnement ordonné et efficient des marchés financiers s'en trouve aussi facilité. Car dans un monde parcouru par des flux de capitaux privés considérables, parfois très instables, les marchés financiers doivent pouvoir réagir de façon plus continue et plus souple aux événements économiques pour que l'on puisse éviter des corrections spectaculaires. Prenons garde, toutefois; il ne suffit pas seulement que l'information existe. Encore faut-il qu'elle soit prise au sérieux dans les analyses des sociétés d'investissement, des institutions financières, etc. Et encore faut-il que les résultats de ces analyses soient transmis aux opérateurs, dans les salles de marchés et aux décideurs publics.
Qu'est-ce que le FMI peut faire en ce domaine? Non contents d'élaborer des normes et de les affiner, nous nous sommes appliqués à diffuser plus d'informations que jamais sur les activités, les politiques et les procédures de notre institution, la plupart étant disponible sur notre site Internet, www.imf.org. Mais de nombreux groupes — dont le G-22 — voudraient que nous allions encore plus loin. Le G-22 préconise que, dans le cadre de sa surveillance régulière, le FMI établisse des rapports évaluant la qualité des pratiques de transparence appliquées par les pays membres dans les domaines critiques. Le problème est que certains pays sont moins disposés que d'autres à divulguer ce qu'ils considèrent comme des renseignements confidentiels. De même, les sociétés privées ou publiques peuvent hésiter à dévoiler des informations qui leur appartiennent en propre. La tâche est considérable, indiscutablement, et nous commençons tout juste à explorer les possibilités. Mais quoi que nous entreprenions, nous ne réussirons que si les marchés financiers réclament bel et bien davantage de transparence de la part de ceux qui veulent faire appel à eux. Cela veut dire que le respect des règles doit vraiment être récompensé par une diminution des rendements à offrir sur les emprunts.
Troisième élément clé, la solidité du secteur financier. Il est frappant de constater que depuis cinq ans, de par le monde, toutes les grandes crises financières ont été, soit causées, soit exacerbées par les faiblesses du secteur bancaire. En outre, près des trois quarts des pays, y compris plusieurs pays industrialisés, ont traversé une période de tension ou de crise bancaire au cours des 15 à 20 dernières années. Et les derniers mois ont fait ressortir les risques associés aux transactions internationales hautement spéculatives.
Alors que faire? Fondamentalement, pour être solide, le système financier international doit reposer sur des systèmes nationaux solides et résistants. Et leur santé doit être contrôlée selon des normes transparentes et harmonisées. Les travaux entrepris sur ce front sont nombreux. Il y a quelque temps déjà que le FMI contribue à faire connaître un ensemble de "pratiques optimales" de contrôle bancaire, mis au point par le Comité de Bâle, de sorte que les normes et pratiques qui ont donné de bons résultats dans certains pays puissent être adaptées et appliquées par d'autres. Nous intensifions nos efforts pour déceler et aider à corriger les points faibles des secteurs financiers qui risquent d'avoir des conséquences macroéconomiques. Nous cherchons à déterminer s'il faut imposer des obligations ou règles supplémentaires de publicité financière pour les activités des investisseurs institutionnels, notamment les établissements à fort effet de levier. Et nous avons intensifié notre collaboration avec la Banque mondiale sur les dossiers ayant trait aux secteurs financiers.
Mais même avec l'assistance technique du FMI et d'autres organismes, nombre de pays en développement ont encore bien trop peu de contrôleurs pour surveiller des secteurs bancaires fragiles — et cette situation va perdurer pendant encore quelque temps. Peut-être faut-il envisager dans ces conditions des mesures temporaires de sûretéconcernant les mouvements de capitaux, ce qui m'amène à l'élément suivant.
Ce quatrième élément, c'est la libéralisation des mouvements de capitaux. L'ouverture des marchés de capitaux peut être porteuse d'avantages énormes pour tous, en particulier pour les pays en développement. Ils peuvent venir en complément de l'épargne intérieure, encourager l'emploi efficace de ressources rares et faciliter parallèlement les apports de savoir-faire. Cela dit, la crise asiatique a montré que les pays doivent faire très attention à la manière dont ils mènent la libéralisation, surtout s'il leur manque un système financier solide. Cela démontre que la libéralisation doit se faire par étape en tenant compte de la solidité du marché financier dans son ensemble. Quelques exemples :
En d'autres termes, la façon dont les marchés s'ouvrent a de l'importance. Et si les décideurs font un mauvais usage des possibilités créées par l'ouverture des marchés, cela peut aussi avoir des conséquences désastreuses. Les décideurs doivent constamment veiller à minimiser la vulnérabilité de leur économie, car sans cette vigilance, la vulnérabilité peut s'accroître avec une rapidité déroutante. Il est aussi important que les créanciers évaluent mieux les risques. Alors gardons nous de mettre les difficultés de l'Asie entièrement au compte de la libéralisation, et de faire marche arrière.
Cela dit, il faut admettre que certaines circonstances peuvent appeler des mesures temporaires de réglementation des mouvements de capitaux — et c'est un sujet que nous comptons étudier. Notre crainte majeure, cependant, c'est que le répit accordé par ces mesures risque de peser bien peu par rapport au dommage durable infligé à la confiance des investisseurs, aux distorsions de l'affectation des ressources qui en découlent et à la perte de la discipline et des incitations dont les flux de capitaux peuvent être porteurs.
Le cinquième élément clé, c'est la participation du secteur privé à la prévention et à la résolution des crises. Dans toutes les crises récentes, les tensions initiales ont été sérieusement aggravées par la ruée vers la sortie des créanciers, en particulier des créanciers à court terme. Comment les convaincre de ne pas se comporter de la sorte? Et, question plus délicate encore, comment les encourager à agir d'une manière qui permette au pays d'entreprendre un processus d'ajustement plus ordonné, pour le plus grand bien de tous : le pays, mais aussi les investisseurs et les créanciers. Ce principe de l'inclusion des investisseurs et créanciers dans le tour de table est forcément difficile à mettre en oeuvre. En fait, c'est le plus délicat et le plus complexe des éléments de base. Mais ne désespérons pas : il y a déjà un certain nombre d'options à l'étude.
Venons-en au sixième élément, des politiques sociales équitables. La réforme du système monétaire international ne peut être complète que si elle s'accorde avec les objectifs sociaux entérinés par la communauté internationale. C'est la raison pour laquelle, pour faire face à l'aggravation de la récession et son coût social en Asie, le FMI a préconisé une politique budgétaire plus expansionniste à l'appui des programmes sociaux indispensables. Dans tous les pays touchés par la crise, les programmes que nous soutenions comportaient des subventions pour certains produits de consommation essentiels. En Corée, nous avons appuyé le développement du système d'indemnisation du chômage et, en Thaïlande, nous avons encouragé des programmes de création d'emplois dans le secteur public.
Mais il y a encore beaucoup à faire! Lorsqu'une crise éclate, que les chocs viennent du système financier ou d'ailleurs, les pays doivent être dotés de stabilisateurs automatiques et de dispositifs de protection sociale pour en amortir les retombées sur les plus démunis et les plus vulnérables — nous travaillerons en étroite collaboration avec la Banque mondiale dans cet objectif.
Septième et dernier élément, l'adaptation des institutions financières internationales, et je m'en tiendrai ici au FMI. Alors même que le monde s'adapte à un nouvel ordre économique, il faut que notre institution s'adapte elle aussi, car elle joue un rôle central dans le système économique et financier. On nous demande d'assumer de plus en plus de responsabilités, et la conséquence naturelle de cet état de choses serait de faire prendre à nos 182 pays membres une part encore plus active qu'à présent au processus de décision. C'est pourquoi nous avons suggéré de transformer l'organe consultatif au niveau ministériel, le Comité intérimaire, en un "Collège" doté de pouvoirs de décision et non plus seulement d'un rôle consultatif. Cette idée, de même que d'autres suggestions en vue de stabiliser le système international des changes — en passant éventuellement à un système tripolaire, articulé autour de l'euro, du yen et du dollar, en instituant éventuellement un système de prêteur en dernier ressort — est au nombre des propositions de réformes internationales.
Au terme de cet inventaire, quel bilan? Dans certains domaines, nous savons ce que nous
voulons, mais nous ne sommes pas certains de la voie à suivre pour parvenir au but.
Dans d'autres, la voie est toute tracée, mais nous ne sommes pas certains que la
volonté politique soit encore là pour parvenir au but. Soyez assurés que
le FMI fera son possible pour faire éclore la réflexion et le consensus
international qui sont nécessaires. Car il nous incombe de veiller à ce que
l'économie mondiale soit un lieu plus sûr où les pays puissent
prospérer pour le bénéfice de l'humanité toute entière.
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