«Tenir la promesse de 2025» Allocution de Christine Lagarde, Directrice générale, Fonds monétaire international

le 6 septembre 2015

Allocution de Christine Lagarde
Directrice générale, Fonds monétaire international
Sommet du G20 des femmes
6 septembre 2015, Ankara, Turquie

Texte préparé pour l’intervention

Introduction

Bonjour. Günaydin.

Merci, Monsieur Türktan, pour votre aimable présentation.

Monsieur le Premier Ministre, Madame l’Ambassadeur, je suis très heureuse d’être ici pour cette rencontre inaugurale du G20 des femmes.

Cette première réunion vient à point nommé. Lors de son sommet de novembre dernier, le G20 a promis de réduire l’écart entre les taux d’activité des hommes et des femmes de 25 % d’ici 2025, ce qui permettrait aussi de créer 100 millions de nouveaux emplois pour l’économie mondiale, selon les estimations.

C’était la promesse de 2025. Aujourd’hui, je souhaiterais mettre l’accent sur les moyens à mettre en œuvre pour tenir cette promesse.

Certes, il s’agit d’un défi de taille. Mais étant donné l’attention considérable qui est accordée à l’équité entre les sexes — dans les objectifs de développement durable pour l’après-2015 cette année, et la promesse faite par le G20 l’an dernier — il est clair que nous disposons d’une opportunité unique.

Nous devons saisir cette occasion.

Pourquoi la promesse 2025 a de l’importance

Selon les dernières estimations, il y a plus de 3,5 milliards de raisons pour lesquelles l’équité entre les sexes est importante. Et si ces raisons ne suffisent pas, poursuivons notre réflexion.

Comme je l’ai déjà dit à maintes reprises, l’autonomisation des femmes n’est pas seulement une cause fondamentalement morale : elle tombe sous le sens aussi sur le plan économique. Qu’est-ce que j’entends par là ?

Premièrement, nous savons que l’autonomisation des femmes accélère la croissance économique. Par exemple, selon des estimations, s’il y avait autant de femmes qui travaillent que d’hommes, le PIB progresserait de 5 % aux États-Unis, de 9 % au Japon et de 27 % en Inde1.

Si ces estimations sont bien sûr approximatives, elles sont significatives et d’une ampleur suffisante pour être prises au sérieux. Cela s’applique en particulier aux pays où la croissance potentielle est en baisse du fait du vieillissement de la population

Deuxièmement, si davantage de femmes obtiennent des emplois sûrs et bien payés, le revenu par habitant augmente de manière globale. En ce qui concerne la Turquie, on estime que la parité entre les sexes sur le plan de l’emploi pourrait accroître le revenu par habitant de 22 %2. Le même type de gain est possible aussi pour bien d’autres pays.

Troisièmement, une plus grande égalité de genre, outre qu’elle permet de relever les revenus en termes absolus, contribue à réduire les inégalités de revenu. Une étude qui sera bientôt publiée par les services du FMI examine justement cette relation en rapportant un «indice d’inégalité de genre» à l’inégalité de revenu telle qu’elle est mesurée. Les résultats sont particulièrement frappants : ils font apparaître que le renforcement de l’éducation et des débouchés professionnels des femmes peut améliorer l’égalité de revenu dans une proportion équivalente à celle qui a mis des décennies à aboutir

Quatrièmement, l’autonomisation des femmes peut réduire la pauvreté. L’Òrganisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture estime par exemple que si les femmes obtenaient le même accès que les hommes aux ressources agricoles, l’augmentation de la production agricole dans les pays en développement pourrait aller jusqu’à 4 %, ce qui permettrait à plus de 100 millions de personnes de ne plus avoir faim3.

Donc, pour résumer, accélérer la croissance, accroître les revenus globaux, réduire les inégalités et combattre la pauvreté : c’est pour ces raisons que la promesse de 2025 est aussi importante.

Exécution

Cependant, nous savons tous que la définition d’un objectif et sa réalisation sont deux choses bien différentes. Pour atteindre l’objectif fixé, il nous faut agir de manière décisive, soutenue et collective.

C’est pourquoi le G20 des femmes peut avoir une influence, en rappelant au G20 l’engagement qu’il a pris et en le rendant comptable de son action.

Le FMI soutient cet effort. Ces dernières années, comme vous le savez sans doute, nous avons approfondi nos travaux concernant les effets macroéconomiques de la discrimination à l’encontre des femmes.

Nous avons entrepris de nouvelles recherches, par exemple sur le rôle des femmes dans l’économie et les obstacles juridiques à leur activité. Plus important peut-être encore, nous cherchons maintenant à mettre en application ces recherches dans les conseils que nous offrons à nos pays membres.

Le FMI est donc aux côtés du G20 des femmes. Quels domaines d’action devrions-nous privilégier pour veiller à ce que la promesse du G20 soit tenue ? 

Trois domaines d’action principaux pour l’autonomisation économique des femmes

La vie d’une femme présente de nombreuses occasions de favoriser son autonomisation. Je vais mettre en évidence trois moments critiques :

  • Aller à l’école — éducation ;
  • Trouver un emploi — travail ;
  • Avoir une famille.

1.     Éducation

Commençons par l’éducation, et permettez-moi à ce sujet de citer Aung San Suu Kyi:

« L’éducation et l’autonomisation des femmes dans le monde entier ne peuvent qu’aboutir à une vie plus humaine, tolérante, juste et pacifique pour tous ».

De fait, les opportunités offertes par l’éducation ont des ramifications de large portée et de longue durée.

Au niveau individuel, par exemple, nous savons qu’une année supplémentaire d’enseignement primaire accroît le potentiel de revenu d’une femme de 10 à 20 %. Une année supplémentaire d’enseignement secondaire le relève de 25 %4.

Au niveau national, l’expérience de la Turquie sur le plan de l’éducation des filles est instructive. La proportion des femmes turques ayant un diplôme universitaire qui ont un emploi est très élevé : il dépasse 70 %. Cependant, à l’autre extrême — là où règne l’analphabétisme — seulement 17 % des femmes peuvent trouver un emploi5. En fait, on estime que si l’on ajoute une année d’éducation préscolaire en Turquie, le taux d’activité des femmes pourrait progresser de 9 %6.

Le message est clair : l’éducation des filles est probablement le meilleur investissement qu’un pays peut faire.

Au-delà de l’investissement dans l’éducation en tant que telle, il y a d’autres moyens de promouvoir l’éducation des filles. Des programmes sociaux tels que les transferts monétaires aux familles pauvres peuvent être subordonnés à la scolarisation des filles, comme c’est le cas au Bangladesh et au Cambodge7. Et grâce à l’amélioration des infrastructures, telles que les routes et l’assainissement, il est plus facile pour les filles d’aller à l’école. Une approche globale est nécessaire.

La bonne nouvelle, c’est que l’écart entre les garçons et les filles sur le plan de l’éducation se rétrécit dans beaucoup de pays. Cependant, dans beaucoup trop d’autres pays, y compris dans bon nombre de pays émergents et de pays en développement, cet écart reste considérable.

Si l’on veut tenir la promesse de 2025, il convient de combler ces écarts d’éducation.

2.     Emploi

Passons au deuxième domaine d’action principal, à savoir l’emploi.

Après l’école, la recherche d’un emploi est un événement de vie commun pour la plupart des femmes. Et si le fait d’avoir reçu une bonne éducation aide certainement les femmes à trouver un emploi, ce n’est en aucune manière une garantie.

Un certain nombre de pays où le niveau d’éducation des femmes est élevé continue d’afficher un faible taux d’activité parmi les femmes. C’est par exemple un problème bien connu au Japon.

Les femmes japonaises qui ont aujourd’hui un peu plus de 30 ans ont généralement fréquenté l’école pendant plus de 14 ans — seule la Nouvelle-Zélande fait mieux en la matière8. Par ailleurs, en moyenne, les femmes japonaises vont à l’école plus longtemps que les hommes9. Malgré cela, l’écart entre les taux d’activité masculin et féminin au Japon est de 25 points, contre un peu plus de 10 points en moyenne dans les principaux pays avancés10.

Donc, oui, l’éducation est essentielle, mais elle fait partie d’une action plus large. Que faut-il d’autre pour aider les femmes à trouver un emploi ?

Premièrement, il est crucial d’éliminer les obstacles juridiques. Il s’agit des facteurs qui entravent les femmes dans leur activité quotidienne — qu’il s’agisse d’ouvrir un compte bancaire ou d’avoir des droits égaux sur le plan de la propriété.

Selon une étude récente du FMI, près de 90 % des pays ont au moins une restriction juridique importante qui rend difficile le travail des femmes11. Dans la moitié des pays que nous avons étudiés, lorsque l’équité entre les sexes a été garantie par la constitution, le taux d’activité des femmes a augmenté de 5 % au moins sur les cinq années qui ont suivi.

Le deuxième obstacle est le salaire des femmes. Même avec un niveau d’éducation semblable, et pour la même activité professionnelle, une femme gagne seulement trois quarts du salaire d’un homme12. Il s’agit d’un facteur très dissuasif pour une femme qui cherche à travailler.

Troisièmement, les infrastructures peuvent être un obstacle. Sans accès à des transports de base ou à des sources d’énergie, il est très difficile pour une femme de travailler en dehors de la maison. Dans les zones rurales d’Afrique du Sud, par exemple, l’électrification a accru le taux d’activité des femmes de 9 %13.

Et quatrièmement, il y a l’accès inégal à la finance. Dans les pays émergents et les pays en développement, 70 % des petites et moyennes entreprises dont le propriétaire est une femme sont soit non desservis soit insuffisamment desservis par les établissements financiers14.

Le renforcement de l’inclusion financière des femmes est une question sur laquelle j’ai l’intention d’insister lors du sommet des Nations Unies sur le programme de développement de l’après-2015 qui se déroulera plus tard ce mois-ci. C’est une action cruciale afin d’atteindre l’objectif fixé pour 2025.

3.     Famille

Il en va de même pour le troisième des domaines d’action principaux, qui tourne autour du rôle particulier que les femmes jouent dans la vie familiale. Dans la pratique, que peut-on faire ?

Tout d’abord, un congé parental rémunéré contribue à maintenir la connexion d’une femme avec le marché du travail. Le Japon, par exemple, accomplit des progrès considérables dans ce domaine. Les autorités ont relevé de 50 à 67 % du salaire les congés payés pour garde d’enfants15. Les employeurs jouent de plus en plus leur rôle aussi : par exemple, le taux d’utilisation du congé de paternité dans une compagnie d’assurances japonaise bien connu a atteint 100 % cette année16.

Cela nous amène à un point important : les hommes, non seulement en tant que partenaires, mais aussi en tant que pères, fils et frères, ont un rôle important à jouer dans l’autonomisation des femmes. Il s’agit non seulement d’aider leur partenaire, leur fille, leur mère ou leur sœur à atteindre son potentiel, mais aussi de contribuer à mettre en place une société plus forte pour tous.

Comme l’a dit Amartya Sen :

«Les femmes sont de plus en plus considérées, par les hommes et par les femmes elles-mêmes, comme des agents de changement actifs : les moteurs dynamiques de transformations sociales qui peuvent modifier la vie à la fois des femmes et des hommes17».

Les dirigeants et les employeurs peuvent œuvrer de concert pour offrir des services de garde d’enfants à un prix raisonnable et de qualité. Selon certaines études, une réduction de moitié du coût des services de garde d’enfants pourrait accroître de 10 % le nombre de jeunes mères sur le marché du travail18.

Une réforme fiscale peut être utile aussi. Dans beaucoup trop de pays, le système fiscal décourage les seconds titulaires de revenus, qui sont souvent des femmes. En remplaçant une imposition familiale par une imposition individuelle, on pourrait réduire les impôts marginaux qui sont appliqués à ces seconds titulaires de revenus, ce qui encouragerait les femmes à travailler.

Cet ensemble de mesures — congé parental, services de garde d’enfants et système fiscal plus équitable — peut permettre aux femmes de combiner travail et famille. Investir dans l’éducation des filles, faciliter l’entrée des femmes sur le marché du travail : cette combinaison favorise aussi l’autonomisation économique des femmes.

Conclusion : joindre l’acte à la parole

L’engagement pris par le G20 de réduire l’écart entre les taux d’activité des hommes et des femmes de 25 % d’ici 10 ans peut autonomiser les femmes d’une manière historique. En outre, il peut conduire à une accélération de la croissance, à une augmentation du revenu global par habitant, à un recul de la pauvreté et à une réduction des inégalités de revenu dans le monde entier.

Bref, cet engagement peut changer la donne pour l’économie mondiale. Mais cette promesse ne peut être tenue que si l’on joint l’acte à la parole.

Nous devons coopérer — le G20, le G20 des femmes, les 188 pays membres du FMI — pour concrétiser ces aspirations.

Merci. Cok tesekkurler.


1 IMF Staff Discussion Note, Women, Work, and the Economy: Macroeconomic Gains from Gender Equity
2 World Bank: http://www.worldbank.org/en/news/opinion/2015/04/09/important-balancing-act-turkey
3 OECD DAC Network on Gender Equality, Women’s Economic Empowerment
4 Daring the Difference: The 3 L’s of Women’s Empowerment
5 IMF Staff Discussion Note, Women, Work, and the Economy: Macroeconomic Gains from Gender Equity
6 World Bank. 2013. Programmatic Concept Note: Turkey: Women’s Access to Economic Opportunities in Turkey Trust Fund
7 IMF Staff Discussion Note, Women, Work, and the Economy: Macroeconomic Gains from Gender Equity
8 IMF Working Paper, Can Women Save Japan?
9 Ibid
10 IMF Staff Discussion Note, Women, Work, and the Economy: Macroeconomic Gains from Gender Equity
11 IMF Staff Discussion Note, Fair Play: More Equal Laws Boost Female Labor Force Participation
12 Daring the Difference: The 3 L’s of Women’s Empowerment
13 Forthcoming IMF Staff Discussion Note, Catalyst for Change: Empowering Women and Tackling Income Inequality
14 Forthcoming IMF Staff Discussion Note, Financial Inclusion—Can it Meet Multiple Macroeconomic Goals?
15 Japanese Ministry of Health, Labor, and Welfare
16 Bloomberg News: http://www.bloomberg.com/news/articles/2014-04-22/japanese-men-bringing-up-babies-seek-to-send-wives-back-to-work
17 Amartya Sen, Development as Freedom
18 IMF Staff Discussion Note, Women, Work, and the Economy: Macroeconomic Gains from Gender Equity

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

Relations avec les médias
Courriel : media@imf.org
Téléphone : 202-623-7100