Marchés immobiliers, stabilité financière et économie

le 5 juin 2014

Discours d’ouverture prononcé par Min Zhu
Directeur général adjoint, Fonds monétaire international
à la Conférence Bundesbank/Deutsche Forschungsgemeinschaft/FMI, le 5 juin 2014

(texte préparé pour l’intervention)

1. Je souhaiterais tout d’abord remercier la Bundesbank et la Deutsche Forschungsgemeinschaft pour avoir organisé cette conférence avec nous.

2. Mes propos se centreront sur trois points :

  • Premièrement, l’immobilier est un secteur essentiel de l’économie mais également un secteur source de vulnérabilités et de crises. Il convient certes de se réjouir du redressement qu’ont récemment enregistré les marchés immobiliers à travers le monde, mais nous devons nous prémunir contre un autre boom non viable.
  • Deuxièmement, la détection des marchés immobiliers surévalués continue de relever de l’art plus que de la science. Des indices généraux, tels que les ratios prix/loyer peuvent constituer une première approche, mais il est nécessaire de procéder à une analyse approfondie et à une appréciation subjective pour pouvoir établir l’existence d’une surévaluation.
  • Troisièmement, la panoplie d’instruments pour gérer les booms immobiliers est toujours en cours d’élaboration. Plusieurs instruments sont utilisés et certaines expériences ont été couronnées de succès dans le court terme. Il faut toutefois approfondir les analyses et échanger les expériences positives ou négatives. Les rencontres comme celle-ci contribuent à renforcer notre capital de connaissances.

Le rôle su secteur immobilier

3. Permettez-moi de développer ces trois points, en commençant par le rôle du secteur immobilier. Se nourrir, s’habiller, disposer d’un toit : ce sont là ce qu’il est généralement convenu d’appeler des besoins primordiaux. Autrement dit, le secteur du logement permet de répondre à un besoin fondamental. Le logement, bien entendu, est également une composante importante de l’investissement. En outre, dans beaucoup de pays, l’immobilier constitue la principale composante du patrimoine. Par exemple, aux États-Unis, l’immobilier représente approximativement un tiers du total des actifs détenus par le secteur privé non financier. La majorité des ménages tendent à accumuler des richesses sous la forme de biens immobiliers — leur logement — plutôt que sous la forme d’actifs financiers. En France, par exemple, moins d’un quart des ménages détient des actions mais près de 60 % sont propriétaires de leur logement.

4. L’immobilier joue également d’autres rôles notables. Par exemple, les marchés de crédit hypothécaire sont d’importants circuits de transmission de la politique monétaire. Un parc immobilier suffisant peut également faciliter la mobilité de la main-d’œuvre et aider l’économie à surmonter les chocs négatifs. Bref, un secteur immobilier qui fonctionne correctement est essentiel à la santé globale de l’économie et à mesure que les économies se développent, il est logique de s’attendre à ce que les marchés immobiliers gagnent en profondeur et en croissance.

5. Cependant, malgré son importance, le secteur immobilier n’a pas reçu une attention suffisante de la part des macroéconomistes. Comme le signalait Ed Leamer, à l’époque les principaux manuels ne mentionnaient même pas le secteur immobilier. Certes, tout cela a changé depuis la Grande Récession. L’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis a été suivi de la récession la plus profonde qu’ait connue le monde depuis la Grande Dépression. Elle a rappelé que l’effondrement du secteur immobilier pouvait avoir des retombées pernicieuses.

6. L’histoire nous montre effectivement que les successions d’expansions et de contractions des marchés immobiliers ont très souvent porté atteinte à la stabilité financière et à l’économie réelle. Nombreux sont les grands épisodes de faillites bancaires qui étaient liés à des cycles d’expansion puis de chute des prix immobiliers. D’après les études du FMI, sur les près de 50 crises bancaires systémiques enregistrées durant ces dernières décennies, plus de deux tiers ont été précédées par une montée en flèche puis un effondrement des prix immobiliers. Le coût de résolution des crises immobilières peut être très élevé : dans le cas de l’Irlande, par exemple, le sauvetage, par l’État, des banques qui avaient souffert de l’effondrement du marché immobilier a coûté jusqu’à 40 % du PIB national. A la différence des cycles immobiliers, les cycles d’expansions et de contractions boursières risquent moins de provoquer des crises bancaires systémiques.

7. Même lorsque l’effondrement du marché immobilier n’a pas de profonde incidence sur la stabilité financière, il peut toucher l’économie réelle. Des études montrent que les récessions dans les pays de l’OCDE tendent à résulter davantage d’une chute des prix du logement. En outre, ces récessions tendent à être plus profondes et à créer plus de chômage que les récessions normales. Il a été abondamment démontré que les cycles immobiliers peuvent menacer la stabilité macroéconomique et financière. Aussi est-il essentiel de suivre l’évolution du marché immobilier pour éviter que ne s’enclenche une autre spirale d’expansion-récession.

Détecter les marchés immobiliers surévalués

8. Quel est donc l’état des lieux du marché immobilier? Dans beaucoup de pays, les prix du logement et les investissements dans ce secteur ont enregistré un repli au début de la Grande Récession. Depuis, il s’est produit un rebond. Globalement, les prix commencent à se redresser : l’indice mondial des prix logement du FMI a augmenté de manière continue durant les sept derniers trimestres. Durant l’année écoulée, 33 des 52 pays couverts par l’indice ont enregistré une augmentation des prix immobiliers. Dans certains cas, ce redressement se produit après une forte correction durant la Grande Récession, tandis que dans d’autres les prix ont maintenu leur tendance haussière, avec une légère modération durant la Grande Récession.

9. Ces phénomènes ont-ils rapproché ou éloigné les prix immobiliers des fondamentaux économiques? Pour répondre à ce genre de questions, il est courant d’examiner les ratios de valeur à long terme. La théorie veut que les prix des logements, les loyers et les revenus évoluent de concert sur le long terme. Si les prix des logements et des loyers accusent des mouvements aberrants, les gens se mettent à acheter plutôt qu’à louer, ou vice versa, et les deux finissent par se rejoindre. De même, sur le long terme, le prix des logements ne peut pas s’éloigner trop de la capacité des gens de les payer — autrement dit, de leur revenu. C’est pourquoi le rapport entre les prix des logements, d’une part, et les loyers et les revenus, d’autre part, est souvent utilisé comme premier indicateur pour déterminer si les prix des logements sont décalés par rapport aux fondamentaux de l’économie.

10. Que nous disent les chiffres? Dans le cas des pays de l’OCDE, ce ratio reste largement au-dessus des moyennes historiques pour la majorité des pays. C’est vrai par exemple de l’Australie, de la Belgique, du Canada, de la Norvège et de la Suède. Ce constat nous donne une indication globale de la valeur des marchés immobiliers, mais il ne suffit pas pour savoir s’il existe une surévaluation. Les relations dans le long terme servent généralement d’ancrage, mais souvent les prix immobiliers s’en écartent sensiblement et de manière durable. La dynamique de la demande entraîne une augmentation des prix, notamment là où l’offre de logement ne peut pas s’adapter rapidement en raison de diverses contraintes, dont géographiques. Pour se faire une idée de la valeur des logements, il faut donc avoir des renseignements supplémentaires sur, par exemple, la croissance du crédit, l’endettement des ménages, les caractéristiques des prêteurs et les méthodes de financement.

11. Parmi tous ces indicateurs potentiels de risque d’expansions-récessions, il ressort des études du FMI qu’il est particulièrement important de suivre la croissance du crédit. Nous constatons que dans les phases d’expansion des marchés immobiliers, il est un attribut particulier qui devient «pernicieux» : il s’agit de la confluence d’un boom immobilier et d’une augmentation rapide des engagements et de l’endettement des ménages et des intermédiaires financiers. Durant la crise financière mondiale, presque tous les pays qui ont enregistré une «double expansion» de l’immobilier et du crédit — 21 sur les 23 pays analysés — on finit par souffrir d’une crise financière ou d’une chute sensible de la croissance du PIB par rapport à la situation d’avant crise. En revanche, sur les sept pays qui ont enregistré un boom sur le marché immobilier mais non sur le marché du crédit, deux seulement ont connu une crise systémique et ces pays ont enregistré, en moyenne, des récessions relativement modérées.

12. Les services du FMI s’intéressent de plus en plus à la croissance du crédit, ainsi qu’à plusieurs autres caractéristiques du marché immobilier propres à chaque pays. Durant ces derniers mois, les services du FMI ont fourni des évaluations détaillées des marchés immobiliers de l’Australie, d’Israël et du Canada, pays où les indices généraux d’évaluation sont élevés. Nous avons également fourni des évaluations pour beaucoup de pays émergents d’Asie et d’Amérique latine où la croissance du crédit hypothécaire et des prix immobiliers reste vigoureuse et où les prix immobiliers en milieu urbain donnent des signes de surchauffe. Dans certains cas, cet examen plus détaillé révèle une surévaluation beaucoup plus modeste que ne le laisseraient penser les ratios prix des logements/revenus et prix des logements/loyers. C’est le cas par exemple en Belgique, où le FMI a conclu que, malgré le niveau élevé de ces ratios, le risque d’une correction brutale des prix immobiliers semblait limité. Étant donné que le cycle du logement a des caractéristiques propres dans chaque pays, il ne saurait être question de prôner une «solution universelle» valable pour tous.

Élaborer une panoplie d’instruments

13. Permettez-moi de passer au troisième et dernier point : le rôle des politiques visant à maîtriser les booms immobiliers. Je noterai d’emblée que cette question s’inscrit dans une réflexion plus vaste du rôle approprié de la politique monétaire dans la «nouvelle normalité». Plusieurs attributs de ce nouveau rôle continuent d’être débattus mais une chose est claire : la politique monétaire va devoir s’intéresser davantage à la stabilité financière et, partant, au marché immobilier. L’ère de l’«indifférence bienveillante» à l’égard des booms des prix immobiliers est révolue.

14. La réglementation du secteur du logement fait appel à un ensemble complexe de politiques. L’économiste de renom Avinash Dixit a proposé les acronymes anglais MiP, MaP, MoP comme astuce mnémotechnique pour désigner les politiques microprudentielle, macroprudentielle et monétaire. MiP désigne les politiques microprudentielles qui, bien entendu, visent à assurer la résilience des établissements financiers. Ces politiques sont nécessaires à la solidité du système financier, mais elles ne sont pas toujours suffisantes; parfois, des actions qui conviennent au niveau d’un établissement particulier peuvent déstabiliser l’ensemble du système. C’est pourquoi nous avons aussi besoin de MaP, de politiques macroprudentielles pour rendre l’ensemble du système plus résilient.

15. Les principaux outils macroprudentiels qui ont servi à maîtriser les booms immobiliers sont les limites aux ratios de quotité des prêts et d’endettement (dette/revenu) et les fonds propres règlementaires sectoriels. Les limites de quotité ont pour effet de plafonner le montant du crédit hypothécaire par rapport à la valeur du bien foncier, ce qui en substance impose un niveau minimum d’acompte. Les contraintes liées aux ratios dette/revenu limitent la taille du crédit hypothécaire à un multiple du revenu des ménages. Autrement dit, l’objectif est de maîtriser toute augmentation de l’endettement des ménages qui pourrait se révéler insoutenable. Ces limites sont utilisées depuis longtemps dans certains pays. Par exemple, la RAS de Hong Kong plafonne la quotité depuis le début des années 1990 et elle applique un ratio dette/revenu depuis 1994. La Corée a mis en place des limites de quotité en 2002 puis des limites de dette/revenu en 2005. Durant la crise financière mondiale et par la suite, plus de 20 pays avancés et émergents de par le monde ont suivi l’exemple de la RAS de Hong Kong et de la Corée.

16. D’après l’expérience acquise jusqu’à présent, ces mesures réussissent jusqu’à un certain point à modérer la croissance des prix immobiliers et du crédit hypothécaire à court terme. Elles permettent de freiner le mécanisme d’accélération financière qui autrement aboutirait à une interaction positive bidirectionnelle entre les expansions du crédit et les expansions du marché immobilier. Ces mesures doivent toutefois être peaufinées. Les politiques macroprudentielles doivent tenir compte de la capacité des opérateurs à contourner certaines des limites d’endettement. Dans certains pays, comme le Canada, les limites de quotité établissent une distinction utile entre le crédit immobilier destiné à l’achat d’un logement et celui qui a vocation de placement.

17. Un autre instrument macroprudentiel consiste à imposer des normes de fonds propres plus strictes pour les prêts à certains secteurs, comme celui de l’immobilier. Cela force les banques à détenir davantage de fonds propres pour couvrir ces prêts et éviter un engagement excessif envers ces secteurs. Dans un grand nombre de pays avancés comme l’Irlande ou la Norvège, la pondération du risque afférent aux fonds propres a été accrue pour les prêts hypothécaires à quotité élevée. Des fonds propres obligatoires de nature sectorielle ont également été mis en place dans plusieurs pays émergents, dont l’Estonie, le Pérou et la Thaïlande. Il ressort de l’expérience que ces instruments permettent d’accroître la résilience en augmentant les volants de réserves, mais leur capacité à maîtriser la croissance du crédit offre des résultats inégaux. Certaines études du FMI font apparaître qu’une augmentation des fonds propres obligatoires pour certains groupes de crédits hypothécaires a réussi jusqu’à un certain point à maîtriser l’augmentation des prix immobiliers dans des pays comme la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie et l’Ukraine.

18. Plusieurs raisons permettent d’expliquer pourquoi une augmentation des fonds propres obligatoires ne réussit pas nécessairement à maîtriser la croissance du crédit. Premièrement, lorsque les banques détiennent des fonds propres nettement supérieurs au minimum requis, les bailleurs n’ont pas à faire de changements pour réagir à une augmentation des pondérations de risque. Cela se produit souvent durant les booms immobiliers lorsque les dirigeants s’attendent à ce que l’outil soit le plus efficace. Deuxièmement, lorsque pour accroître leur part de marché les prêteurs se livrent à une forte concurrence, ils peuvent préférer internaliser les coûts d’un niveau plus élevé de fonds propres obligatoires plutôt que d’imposer des taux débiteur plus élevés.

19. Par ailleurs, les outils macroprudentiels peuvent être d’une utilité limitée face aux booms immobiliers imputables à une pénurie de logements ou à une augmentation de la demande liée à des entrées de capitaux étrangers qui ne transitent pas par les circuits nationaux d’intermédiation du crédit. Dans ces cas-là, d’autres instruments sont nécessaires. Par exemple, des droits de timbre ont été imposés pour modérer la montée des prix immobiliers dans la RAS de Hong Kong et à Singapour. L’expérience montre que cet instrument financier a réussi à réduire la demande de ressortissants étrangers qui échappait au périmètre réglementaire des quotités et des ratios dette/revenu. Dans d’autres cas, le renchérissement de l’immobilier peut s’expliquer par des goulots d’étranglement de l’offre et, par conséquent, l’utilité des instruments basés sur la demande peut être limitée. Dans ce type de situation, les mesures destinées à accroître l’offre de logements devraient être la base de toute démarche visant à corriger le déséquilibre.

20. Outre les politiques microprudentielles et macroprudentielles, nous avons besoin d’une politique monétaire, autrement dit «MoP». Il est courant de dire que les taux d’intérêt directeurs sont un instrument lourd pour maîtriser l’envolée des prix immobiliers. Toutefois, comme je le signalais tantôt, les booms immobiliers vont souvent de pair avec une explosion généralisée du crédit privé. On pourrait donc en conclure que dans bien des cas la politique monétaire pourrait être un instrument important pour accompagner les politiques macroprudentielles. Il convient toutefois de reconnaître qu’à l’heure actuelle les taux directeurs se maintiennent à un faible niveau afin de promouvoir la reprise économique.

Conclusion

21. Permettez-moi de conclure. Les booms immobiliers présentent des caractéristiques particulières dans le temps et dans l’espace. Ils ont toutefois cela de commun que lorsqu’ils s’essoufflent, ils portent souvent atteint à la stabilité financière et à l’économie réelle. Les instruments qui permettraient de contenir les booms immobiliers sont encore en cours d’élaboration. Les preuves de leur efficacité commencent seulement à s’accumuler. Les interactions entre différents instruments peuvent être complexes. Mais cela ne doit pas être un prétexte pour ne rien faire. L’effet combiné de plusieurs outils pourrait avoir raison de l’inefficacité relative de chacun lorsqu’il est utilisé seul. Les pouvoirs publics doivent dépasser l’attitude de «bienveillante indifférence» en faveur d’une approche «d’actions tous azimuts».

22. Ce n’est qu’en maintenant un dialogue ouvert sur ces questions que nous pourrons mieux comprendre comment les moyens mis en œuvre permettront de maîtriser les booms immobiliers. En outre, la coordination l’échelle internationale est essentielle car l’expansion de l’immobilier dans un pays donné peut être alimentée par l’évolution du marché du crédit à l’étranger. Le FMI entend faire sa part de travail. Comme je l’ai mentionné au début de mon intervention, l’évaluation des marchés immobiliers fait désormais partie intégrante des rapports que nous produisons sur les différents pays. Nous traitons également des marchés immobiliers dans nos grandes publications que sont les Perspectives de l’économie mondiale et le Rapport sur la stabilité financière dans le monde, ainsi que dans d’autres rapports destinés à notre Conseil d’administration. Nous collaborons avec d’autres organisations à l’amélioration des statistiques du marché immobilier. La semaine prochaine, notre site internet contiendra une nouvelle page qui rendra compte des résultats de nos travaux en la matière. Je vous encourage à vous rendre sur notre site imf.org pour consulter cette nouvelle page intitulée Global House Watch (veille immobilière mondiale) durant les semaines à venir afin de voir ce que nous proposons et de nous suggérer toute amélioration.

23. Le FMI contribue également à l’échange d’expériences nationales au moyen de consultations régulières avec des responsables politiques et des experts. En novembre dernier, nous avons organisé conjointement avec la Federal Reserve Bank of Dallas une conférence sur les questions immobilières qui a remporté un grand succès. Je suis convaincu que cette rencontre sera également une réussite. Merci de votre attention.

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