La marée montante doit porter aussi les plus petites embarcations, Christine Lagarde, Directrice générale, FMI

le 17 juin 2015

Christine Lagarde, Directrice générale, FMI
Allocution lors des Grandes Conférences Catholiques
Bruxelles, 17 juin 2015

Texte préparé pour l’intervention

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Introduction

Bonsoir! Je suis ravie de participer de nouveau à cette prestigieuse conférence et je tiens à remercier mon collègue et ami, le Vice Premier ministre Didier Reynders de son aimable introduction.

Le 6 mai dernier, au matin, j’ai presque avalé mon yaourt de travers en lisant la une d’un grand quotidien économique. Il s’agissait du classement des gestionnaires de fonds spéculatifs les mieux rémunérés. La personne classée en tête avait gagné 1,3 milliard de dollars en 2014. 1,3 milliard de dollars pour un seul homme!

En général, je ne suis guère impressionnée par les gros chiffres… Mais les 25 gestionnaires de fonds spéculatifs les mieux payés ont gagné 12 milliards de dollars l’an passé, alors même que les investissements du secteur affichaient des résultats très médiocres.

Ceci m’a rappelé une anecdote célèbre à Wall Street — celle d’un visiteur à New York qui admire les magnifiques yachts des banquiers et des courtiers les plus riches. Après les avoir contemplés longuement et pensivement, il demande d’un ton ironique : «Et où sont les yachts des clients?»

Pourquoi cette anecdote est-elle d’actualité? Parce que la question de l’aggravation et de l’ampleur des inégalités ne fait pas seulement la une des journaux; c’est aussi désormais un problème pour la croissance et le développement économiques et je voudrais aborder ce sujet sous l’angle économique avec vous ce soir. Je ne m’étendrai pas sur les magnifiques embarcations des super-riches, qui sont devenus l’emblème du nouvel âge d’or. La réussite financière n’est pas en soi immorale.

Mais je voudrais plutôt évoquer ce soir ce que j’appellerais les «petites embarcations», c’est-à-dire les moyens de subsistance et les aspirations économiques des pauvres et de la classe moyenne.

Dans de trop nombreux pays, la marée montante de la croissance économique n’a entrainé vers le large que les grosses embarcations, laissant les petites au sec. Bien trop souvent, les ménages pauvres et des classes moyennes font l’amer constat que, souvent, le travail et la détermination ne sont plus suffisants pour garder la tête hors de l’eau.

Ils sont bien trop nombreux, convaincus que le système est faussé, que les dés sont pipés. Il n’est pas étonnant que les chefs d’entreprise, les meilleurs économistes et même les dirigeants de banque centrale parlent de la répartition trop inégale de la richesse et du revenu. L’ensemble de la classe politique s’en inquiète. Aux États-Unis par exemple, le Président Obama et les dirigeants républicains du Congrès sont d’accord pour dire que c’est un des enjeux fondamentaux de notre époque, que ne pouvons plus nous contenter d’observer, mais auquel nous devons remédier.

Mon principal message ce soir est le suivant : réduire les inégalités excessives — en laissant la marée montante porter aussi les «petites embarcations» — n’est pas simplement un impératif moral et politique, c’est aussi une question de bon sens économique.

Nul besoin d’être altruiste ou alternatif pour soutenir des politiques qui rehausseront les revenus des pauvres et des classes moyennes. Tout le monde y gagne, car ces politiques sont indispensables pour rendre possible une croissance économique plus vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable.

Autrement dit, pour parvenir à une croissance plus durable, il faut assurer une croissance plus équitable. En partant de ce principe, mes remarques porteront sur trois thèmes :

  1. Les perspectives économiques mondiales.
  2. Les causes et les conséquences de l’inégalité excessive.
  3. Les politiques à mener pour assurer une croissance économique plus vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable.

1. La météo économique mondiale n’est pas d’un grand secours

Tout d’abord, voyons ce que réserve, à notre avis, la météo économique mondiale. Le FMI prévoit une croissance de 3,5 % de l’économie mondiale cette année, c’est-à-dire à peu près autant que l’année dernière, et de 3,8 % en 2016.

Les économies avancées affichent des résultats légèrement meilleurs que l’année dernière. Aux États-Unis, nous prévoyons une reprise solide, la faiblesse du premier trimestre n’ayant été qu’un incident de parcours temporaire. Les perspectives de la zone euro s’améliorent, en partie grâce à la politique d’assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne. Le Japon semble enfin récolter les premiers résultats d’une stratégie de reprise aux trois « flèches » (monétaire, budgétaire et structurelle).

Pour la plupart des pays émergents et en développement, les prévisions sont un peu moins bonnes que l’année dernière, principalement parce que les pays exportateurs de matières premières sont pénalisés par la baisse des cours, en particulier ceux du pétrole. Mais les tendances varient énormément d’un pays à l’autre : on assiste ainsi à une croissance vigoureuse en Inde, mais à une récession au Brésil et en Russie. La bonne nouvelle est donc que la reprise mondiale se poursuit; la moins bonne nouvelle, c’est que cette reprise demeure modérée et inégale.

Que se passera-t-il après 2016? Là encore, les nouvelles sont peu réjouissantes. Au FMI, nous pensons que le potentiel de croissance des pays avancés comme des pays émergents sera vraisemblablement plus faible au cours des années à venir. Cela tient en partie à l’évolution démographique et à la baisse de la productivité. Nous craignons que cela n’entraine des difficultés accrues sur les marchés du travail, un affaiblissement des finances publiques et une amélioration plus lente des conditions de vie des populations.

C’est la «nouvelle médiocrité» contre laquelle j’ai déjà mis en garde. Pour les «petites embarcations», cela signifie que le vent de la croissance commence à souffler, mais qu’il n’est pas assez fort pour faire baisser le chômage, pour rehausser les revenus des classes moyennes et faire reculer la pauvreté.

Mais alors, que faire? Devons-nous nous résigner face à une météo défavorable? N’y a-t-il aucun espoir pour les capitaines des «petites embarcations»?

2. Causes et conséquences de l’inégalité excessive

Je pense que si. Il y a des raisons d’espérer, mais pour comprendre cette espérance, essayons de prendre du recul et de regarder ensemble la situation avant de se focaliser sur des solutions propres à chaque pays.

Imaginez que l’on aligne toute la population mondiale, du plus pauvre au plus riche, chacun se trouvant en face d’une pile d’argent représentant son revenu annuel.

Vous constaterez que l’inégalité règne à l’échelle mondiale. Il y a certes un gouffre immense entre la personne la plus riche et la plus pauvre, mais si l’on observe l’évolution de cet alignement dans le temps, on remarque que l’inégalité de revenu au niveau mondial — c’est-à-dire l’inégalité entre les pays — a en fait régulièrement diminué au cours de ces dernières décennies.

Pourquoi? Parce que les revenus moyens des pays émergents comme la Chine et l’Inde ont progressé bien plus vite que ceux des pays plus riches, grâce au pouvoir transformateur du commerce et de l’investissement internationaux. Les flux mondiaux considérables de produits, de services, de personnes, de savoirs et d’idées ont contribué à réduire l’inégalité de revenu au niveau mondial — et cela doit continuer afin de réduire encore plus le fossé qui sépare les nations.

Mais — et c’est un gros «mais» — nous observons aussi une accentuation des inégalités de revenu à l’intérieur de la plupart des pays. Depuis une vingtaine d’années, l’inégalité de revenu s’est considérablement aggravée dans la plupart des pays avancés et les grands pays émergents, surtout en Asie et en Europe de l’Est.

Dans les économies avancées, par exemple, les 1% les plus riches de la population perçoivent à peu prés 10% du revenu global. Et l’écart entre les riches et les pauvres est même plus large en ce qui concerne le patrimoine, comme s’est employé à le démontrer Picketty. Oxfam calcule que le patrimoine cumulé des 1% les plus riches du monde dépassera l’an prochain celui des autres 99% de la population. Aux États-Unis, 1/3 du patrimoine est déjà détenu par 1% de la population.

L’Amérique latine fait figure d’exception à cet égard, avec une réduction des inégalités —, mais elle reste la région du monde où les inégalités sont les plus prononcées.

Ce tableau d’ensemble fait donc ressortir une divergence frappante entre une tendance mondiale positive et des tendances essentiellement négatives à l’intérieur de chaque pays.

La Chine, par exemple, se situe aux deux extrémités. En faisant sortir plus de 600 millions de personnes de la pauvreté au cours des trois décennies écoulées, la Chine a contribué de façon remarquable à une plus grande égalité de revenu au niveau mondial. Mais dans le même temps, elle est devenue l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde — parce qu’un grand nombre de zones rurales sont restées pauvres et que le revenu et la richesse ont fortement augmenté dans les villes et aux échelons supérieurs de la société chinoise.

Ainsi, les pays comme la Chine et l’Inde semblent valider parfaitement l’idée traditionnelle selon laquelle l’inégalité extrême est le prix acceptable de la croissance économique. C’est exactement comme la pollution atmosphérique : certains pourraient être tentés de dire que l’inégalité est tout simplement inévitable — il faut s’y faire!

Un nouveau consensus

Probablement pas, pas de résignation, pas d’indignation, mais un nouveau consensus commence à émerger, selon lequel les pays n’ont pas à accepter ce pacte faustien. Par exemple, l’analyse de mes collègues du FMI1 montre que l’inégalité excessive de revenu a pour effet de tirer vers le bas les taux de croissance économique et de rendre la croissance moins durable.

Cette semaine, nous avons publié la dernière analyse du FMI2, qui confirme, chiffres à l’appui, mon principal message. Il faut permettre aux «petites embarcations» de naviguer pour produire une croissance plus vigoureuse et plus durable.

D’après les études du FMI, une augmentation de 1 point de PIB du revenu des pauvres et des classes moyennes se traduit par une progression pouvant aller jusqu'à 0,38 point de PIB sur cinq ans. En revanche, une augmentation de 1 point de PIB du revenu des riches se traduit par une baisse de 0,08 point de PIB. Une explication possible est que les riches dépensent une proportion moindre de leurs revenus, ce qui pourrait réduire la demande globale et saper la croissance économique.

En d’autres termes, nos études montrent que, contrairement aux idées reçues, les bienfaits d’une hausse du revenu viennent d’en bas et non d’en haut. Cela met en évidence que ce sont bien les pauvres et les classes moyennes qui sont les principaux moteurs de la croissance. Malheureusement, ces moteurs calent de plus en plus.

Une étude récente de l’OCDE révèle par exemple que les conditions de vie des pauvres et des classes moyennes des pays avancés se sont détériorées par rapport au reste de la population. Ce type d’inégalité freine la croissance parce qu’il décourage l’investissement dans l’acquisition de compétences et dans le capital humain — ce qui conduit à une baisse de la productivité dans des pans entiers de l’économie.

Les facteurs à l’origine de l’inégalité excessive

Les conséquences de l’excessive inégalité de revenu apparaissent de plus en plus clairement — mais qu’en est-il de ses causes?

Les facteurs les plus importants sont bien connus. J’en citerai 4 : le progrès technologique et la mondialisation financière.3 Ces facteurs ont en effet eu tendance à élargir l’écart de revenu entre les travailleurs les plus et les moins qualifiés, surtout dans les économies avancées.

Un autre facteur est la place démesurée de la finance dans les grandes économies comme les États-Unis et le Japon. En effet, si la finance — en particulier le crédit — est indispensable à la prospérité d’une société, il apparaît de plus en plus nettement, notamment dans les recherches du FMI,4 que trop de finance peut fausser la distribution du revenu, pervertir le processus politique et menacer la stabilité et la croissance économiques.

Dans les pays émergents et en développement, l’inégalité de revenu extrême résulte en grande partie de l’inégalité d’accès — à l’éducation, aux soins de santé et aux services financiers. Je ne citerai que quelques exemples :

  • Près de 60 % des jeunes les plus pauvres d’Afrique subsaharienne n’ont été à l’école que pendant quatre ans.
  • Près de 70 % des femmes pauvres des pays en développement accouchent sans l’assistance d’un médecin ou d’une infirmière.
  • Plus de 80 % des pauvres des pays en développement n’ont pas de compte bancaire.

Enfin, dernier facteur important, celui de la faible mobilité sociale. Des études récentes ont montré que, dans les économies avancées où la mobilité entre générations est relativement plus faible, l’inégalité de revenu est en général plus accentuée. Dans ces pays, le revenu des parents est un déterminant majeur du revenu des enfants. Autrement dit, pour progresser dans la société, il faut être né dans le bon quartier.

À cause de ces désavantages — de cette inégalité des chances — des millions de personnes n’ont pratiquement pas l’occasion d’accroître leur revenu et de constituer un patrimoine. C’est la définition même de ce que le Pape François a appelé «l’économie de l’exclusion».5

3. Pour une croissance plus vigoureuse, plus solidaire, plus soutenable

Et pourtant, par ces politiques ciblées, les dirigeants peuvent, a notre avis, créer un courant favorable aux «petites embarcations». Des solutions existent, qui permettent de réaliser une croissance plus vigoureuse, plus solidaire et plus soutenable dans tous les pays.

La priorité absolue doit être la stabilité macroéconomique. . Sans bonnes politiques monétaires, sans discipline budgétaire et sans maitrise de la dette publique, il est inévitable que la croissance ralentisse, que les inégalités se creusent et que l’instabilité économique et financière augmente.

De bonnes politiques macroéconomiques, de même qu’une bonne gouvernance sont les meilleurs soutiens des plus démunis. Ainsi, la corruption endémique peut être un indicateur avancé d’une profonde inégalité économique et sociale.

La seconde priorité doit être la prudence. Nous savons tous qu’il convient de s’employer à réduire les inégalités excessives. Mais nous savons aussi qu’un certain niveau d’inégalité est stimulant et utile. Il encourage la concurrence, l’innovation, ou l’investissement et permet de saisir les occasions qui se présentent.

Les meilleurs entrepreneurs sont guidés par ce que l’économiste John Maynard Keynes a appelé «les instincts animaux», qui confèrent une confiance parfois inouïe dans sa propre capacité, sa capacité unique à orienter l’avenir. En d’autres termes, se démarquer des autres est un moteur essentiel de la prospérité.

La priorité suivante doit être d’ajuster les politiques pour qu’elles tiennent compte des facteurs d’inégalité propres à chaque pays, y compris les paramètres politiques, culturels et institutionnels. Pas de mesures indifférenciées s’appliquant à tous, mais bien des politiques intelligentes, qui peuvent contribuer à inverser la tendance à la hausse des inégalités.

A l’aune de ces trois priorités, stabilité, mesure, spécificité, examinons quelques exemples de politique budgétaire et de réformes structurelles.

Une politique budgétaire intelligente

Une politique budgétaire intelligente peut opérer des transformations. des impôts et d’orienter les dépenses publiques qui favorisent au maximum la reprise du travail, l’épargne et l’investissement L’objectif doit être de promouvoir à la fois une plus grande égalité et une plus grande efficacité.

Il s’agit par exemple d’élargir l’assiette des recettes fiscales (par exemple, en combattant la fraude fiscale), de diminuer les dépenses fiscales (par exemple, les déductions au titre des intérêts d’emprunts, qui bénéficient le plus aux plus fortunés)6, et de réduire ou d’éliminer les allégements fiscaux sur les plus-values sur valeurs mobilières.

Dans beaucoup de pays européens, il convient aussi de diminuer la taxation du travail, qui est élevée, notamment en abaissant les cotisations des employeurs à la sécurité sociale. Cela encouragerait la création d’emplois et de postes à temps plein, et freinerait la vague d’emplois à temps partiel et temporaires qui a contribué à accroître les inégalités de revenu.

Sur le plan des dépenses, il s’agit d’élargir l’accès à l’éducation et aux soins de santé. Dans beaucoup de pays émergents et de pays en développement, ce sont notamment les subventions énergétiques, coûteuses et contreproductives qui doivent être réduites. Les ressources ainsi dégagées pourraient être utilisées pour améliorer l’éducation, la formation professionnelle et l’augmentation des ressources pour les plus démunis.

Selon une étude récente du FMI, les subventions au pétrole, au gaz et au charbon atteindront un coût direct et indirect cette année de 5.300 milliards de dollars à l’échelle mondiale. C’est autant que les dépenses mondiales consacrées à la santé publique.

Pour promouvoir une plus grande égalité et une plus grande efficacité, il s’agit aussi de recourir davantage à ce que l’on appelle les transferts monétaires conditionnels. Ces transferts sont des instruments particulièrement efficaces de lutte contre la pauvreté, et qui ont contribué à réduire notablement les inégalités de revenu dans des pays tels que le Brésil, le Chili et le Mexique.

Lors de ma visite récente au Brésil, j’ai vu les résultats du programme Bolsa Familia dans les favelas. Ce programme vient en aide aux familles pauvres, souvent monoparentales, sous forme de cartes de débit prépayées, remises aux mères à condition que leurs enfants aillent à l’école et participent à des programmes publics de vaccination. Bolsa Familia s’avère à la fois utile et rentable : pour des dépenses équivalant à 0,5 % du PIB par an, 50 millions de personnes reçoivent une aide, soit un Brésilien sur quatre.

Réformes structurelles

Outre ces politiques budgétaires intelligentes, des réformes intelligentes dans des domaines vitaux tels que l’éducation, la santé, le marché du travail, les infrastructures et l’inclusion financière pourraient également changer la donne. Ces réformes structurelles sont essentielles pour améliorer la croissance économique potentielle et relever les revenus et les niveaux de vie à moyen terme.

Si je devais choisir les trois instruments structurels les plus importants pour réduire les inégalités excessives de revenu, ce serait l’éducation, l’éducation et encore l’éducation. Que vous viviez à Lima ou à Lagos, à Chennai ou à Chicago, à Bruxelles ou à Buenos Aires, votre potentiel de revenu dépend pour beaucoup de vos qualifications et de votre capacité à exploiter les progrès technologiques dans un monde interconnecté.

Pour que les revenus augmentent, il faut développer le capital humain et adopter des politiques qui réunissent davantage d’enseignants et d’étudiants dans les salles de classe du XXIe siècle, avec un meilleur matériel pédagogique et un meilleur accès aux ressources en ligne. Les pays émergents et les pays en développement doivent promouvoir un accès plus égal à l’éducation de base, tandis que nombre de pays développés doivent mettre davantage l’accent sur la qualité et l’accès pour tous à l’enseignement universitaire. Même les pays qui affichent les niveaux d’éducation les plus élevés doivent redoubler d’efforts.

Les réformes du marché du travail constituent un autre outil important. Je veux parler ici d’un niveau adapté de salaire minimum, de réformes qui soutiennent la recherche d’emplois et l’adéquation des compétences. Je pense également aux mesures qui protègent les personnes plutôt que les emplois. Dans les pays scandinaves, par exemple, la protection de l’emploi est relativement faible, mais les salariés bénéficient d’une assurance chômage généreuse sous condition de recherches d’emploi effectives. Ce modèle rend le marché du travail plus flexible, ce qui est bon pour la croissance, tout en préservant les intérêts des individus.

Les réformes du marché du travail sont importantes aussi sur le plan de l’égalité entre les sexes. Dans le monde entier, les femmes sont triplement désavantagées. Elles ont moins de chances que les hommes d’avoir un emploi rémunéré, surtout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Si elles trouvent un emploi rémunéré, il y a de fortes chances que ce soit dans le secteur informel. Et si elles parviennent néanmoins à trouver un travail dans le secteur formel, elles ne reçoivent en moyenne que les trois quarts du salaire d’un homme, à même niveau d’éducation et de compétences, et pour le même emploi.

Des pays tels que le Chili et les Pays-Bas ont montré qu’il est possible d’accroître nettement le taux d’activité des femmes en menant des politiques intelligentes qui rendent abordables les services de garde des enfants, le congé de maternité et les horaires flexibles. Il convient aussi d’éliminer les barrières juridiques et la discrimination fiscale qui continuent de faire obstacle à l’emploi des femmes dans beaucoup de pays.

Il y a dans le monde environ 865 millions de femmes qui pourraient contribuer davantage à l’économie. Le message est donc clair : donner plus de pouvoir économique aux femmes ne peut que favoriser la prospérité pour tous.

Il convient enfin de favoriser une plus grande inclusion financière, surtout, mais pas seulement, dans les pays en développement. Avec par exemple des initiatives de microcrédit qui transforment les pauvres, principalement les femmes, en micro-entrepreneurs à succès, comme j’ai pu m’en rendre compte récemment au Pérou. Avec des initiatives qui permettent d’établir des historiques de crédit pour les gens qui n’ont pas de compte bancaire. Ou encore, avec le pouvoir de transformation de la banque mobile, surtout en Afrique subsaharienne, comme au Kenya ou en Tanzanie.

Si les familles pauvres dans les pays en développement ont davantage accès aux services financiers de base, elles peuvent investir davantage dans la santé et l’éducation, ce qui entraîne une augmentation de la productivité et du revenu potentiel. Pour réduire les inégalités excessives de revenu dans les pays en développement, il faut développer l’inclusion financière.

Conclusion

Toutes ces mesures et réformes exigent une volonté politique, du courage et de la concertation. C’est pourquoi j’appelle les femmes et hommes politiques, les dirigeants, les chefs d’entreprise et nous tous ici présents à traduire ces bonnes intentions en actions audacieuses et durables.

Rappelons­nous que c’est à ses fruits que l’on juge l’arbre. En particulier, nous devons nous saisir de l’opportunité unique de développement qui s’offre à la génération actuelle.

En septembre à New York, les Nations Unies accueilleront un sommet de haut niveau où les participants s’efforceront de remplacer les objectifs du Millénaire pour le développement par un nouvel ensemble d’objectifs de développement durable. Le mois prochain, une conférence des Nations Unies à Addis Abeba cherchera à financer ce nouveau programme ambitieux de développement.

Enfin, en décembre, les dirigeants de 196 pays se réuniront à Paris pour tenter de conclure un accord détaillé sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Comment ne pas voir, comme le souligne avec force l’encyclique Laudato Si du Pape François, que les atteintes à l’environnement portent préjudice à tous, mais d’abord aux plus pauvres, pays comme individus. Un accord à Paris contribuerait dans une large mesure à protéger les intérêts des personnes les plus démunies de notre société, qui sont les premières victimes du changement climatique.

Nombreux sont les cyniques qui remettent en question la nécessité d’agir dans ces domaines et qui déposent les armes avant même que la bataille n’ait commencé. Démontrons qu’ils ont tort, en focalisant les esprits, en mettant en place des partenariats et en établissant les objectifs appropriés.

J’espère sincèrement que, d’ici la fin de l’année, nous pourrons faire le bilan et dire «we did it… nous y sommes arrivés». «Nous avons redynamisé la croissance économique mondiale.» «Nous avons conclu un accord historique sur le changement climatique.» «Et nous avons engagé un programme de développement totalement nouveau, assorti d’objectifs ambitieux et d’un financement solide.»

Dans tous ces domaines, j’estime que le FMI a un rôle important à jouer. Notre mission principale est de promouvoir la stabilité économique et financière mondiale. C’est pourquoi nous nous intéressons de près aux questions de développement, en aidant nos 188 Etats membres à concevoir et à exécuter des politiques économiques, et en accordant des prêts aux pays qui sont en difficulté afin qu’ils puissent se remettre sur pied.

En Afrique subsaharienne, par exemple, beaucoup de pays ont appliqué des politiques macroéconomiques appropriées au cours des dix dernières années, et ils en récoltent aujourd’hui les fruits sous forme d’une croissance plus vigoureuse et d’un niveau de vie plus élevé. Le FMI a soutenu leurs efforts en recourant à de nouveaux instruments, par exemple des prêts à taux zéro, ainsi qu’en augmentant ses concours financiers et en renforçant les capacités institutionnelles des pays.

Nous intensifions aussi nos travaux sur les inégalités, la parité hommes-femmes et le changement climatique parce que ces questions sont, comme je viens de le préciser, d’une importance critique sur le plan macroéconomique.

Par-dessus tout, nous examinons comment nous pourrions accroître l’accès des pays en développement à nos prêts pour les aider à faire face aux chocs extérieurs. Nous redoublons particulièrement d’efforts pour aider les pays les plus pauvres et les plus fragiles.

Et je ne peux terminer sans évoquer ces tragédies presque quotidiennes en Méditerranée et en Asie du Sud-est. Ces bateaux bondés de migrants représentent les pays et les communautés les plus fragiles. Ils sont les plus petits des «petites embarcations», souvent de fortune- un rappel brutal des inégalités de richesse et de revenu les plus extrêmes. A travers eux, l’économie de l’exclusion nous regarde droit dans les yeux.

On dit souvent que nous devrions mesurer la santé de notre société non pas à son sommet, mais bien à sa base. En faisant naviguer les «petites embarcations», celles des pauvres et de la classe moyenne, nous pouvons construire une société plus juste et une économie plus solide. Ensemble, nous pouvons créer une prospérité plus durable et mieux partagée.

Je vous remercie de votre attention.


1 Staff Discussion Note, “Redistribution, Inequality, and Growth”, 14 Avril, 2014

2 Staff Discussion Note, “Causes et Conséquences de l’Inégalité de Revenus: une Perspective Globale”, 15 Juin 2015

3 Ces deux facteurs apparaissent au premier plan dans les travaux universitaires et les discussions publiques sur l’inégalité. Notre dernière SDN sur les causes et les conséquences de l’inégalité des revenus confirme la réalité de ces facteurs.

4 Une note récente sur “Rethinking Financial Deepening” montre qu’au delà d’un certain stade, le développement de la finance peut s’avérer dommageable pour la croissance. Un « working paper » du FMI et un document récent de la BRI soutiennent qu’il est effectivement possible d’avoir « trop de finance ».

5 Exhortation apostolique « Evangelii Gaudium », du Pape Francois: “ « De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”.

6 Dans la moitié des pays riches, les contribuables sont autorisés à déduire les intérêts d’emprunts immobiliers de leurs revenus imposables ; même chose concernant les emprunts des sociétés.

DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION DU FMI

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