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Dans certaines conditions, une intervention sur le marché des changes peut réduire la volatilité injustifiée de la monnaie

Lorsque les banques centrales des grands pays ont abaissé leurs taux d’intérêt après 2008, les petits pays émergents, en particulier d’Asie, ont fait face à un déferlement de capitaux provoquant une appréciation de leur monnaie et une baisse des taux d’intérêt. Maintenant que les grandes banques centrales durcissent rapidement leur politique monétaire, ces flux financiers se sont inversés : les monnaies des pays émergents se déprécient, l’inflation augmente et les banques centrales sont sous pression pour relever les taux d’intérêt alors même que la croissance stagne.

L’intégration économique et financière du monde a affaibli la transmission de la politique monétaire au niveau national et permis à des facteurs internationaux d’influencer plus fortement les prix et la conjoncture économique de chaque pays. Les taux de change totalement flottants sont parfaits pour la plupart des pays émergents, mais leur lien aux fondamentaux économiques est facilement ébranlé sous l’effet des évolutions extérieures. L’autonomie de la politique monétaire n’est garantie que si les économies sont suffisamment solides pour résister à la volatilité et au fort désalignement des taux de change. 

Une intervention sur le marché des changes permet aux décideurs de modérer le rythme et l’ampleur d’une appréciation ou d’une dépréciation de la monnaie. Elle peut aussi neutraliser les pressions sur le taux de change en réduisant les attentes unilatérales concernant la valeur future de la monnaie. Un système financier plus approfondi facilite l’intermédiation, mais peut être une arme à double tranchant : une disponibilité accrue d’instruments financiers et une plus grande liquidité peuvent attirer davantage d’entrées de capitaux. Les pays émergents ouverts dotés de vastes systèmes financiers intégrés à l’échelle mondiale doivent détenir davantage de réserves de change et intervenir de manière plus agressive pour éviter une volatilité excessive. Une intervention réussie n’est toutefois pas garantie.

Une intervention réussie

Plusieurs facteurs permettent à une intervention d’être plus susceptible de réussir. Par souci de brièveté, je me limiterai ici à ceux qui déterminent la réussite lorsqu’il s’agit de défendre une monnaie qui se déprécie. 

  • Le niveau des réserves de change : Les réserves de change ont un coût, mais elles sont inestimables lorsque le taux de change subit des pressions à la baisse injustifiées. Elles revêtent encore plus d’importance pour les pays ayant des taux de change rattachés (comme la région administrative spéciale de Hong Kong) ou des cadres monétaires fondés sur le taux de change (Singapour).
  • La solidité de l’économie et du système financier du pays : La solidité de ces fondamentaux donne à la banque centrale une plus grande souplesse pour savoir dans quelle mesure intervenir et laisser le taux de change fluctuer. Cette solidité permet une intervention plus efficace, car la banque centrale n’a pas à procéder activement à des opérations de liquidité qui nuisent à ses interventions de change (voir point 4).
  • Le taux de change prévu « justifiable » dans la mesure où il illustre les fondamentaux économiques : les pressions sur la monnaie dues aux sorties persistantes des comptes commerciaux et courants de la balance des paiements traduisent souvent une incapacité à créer une économie diversifiée, compétitive et intégrée à l’échelle mondiale. Une intervention ne servira à rien. Si le taux de change est affecté par des fondamentaux intérieurs faibles, tels qu’un fort déficit budgétaire, une croissance monétaire excessive ou une inflation élevée, une intervention serait également inutile. Tant qu’il n’existera pas une forte volonté de remédier à ces faiblesses, elles continueront d’exercer une influence négative sur la monnaie.
  • Les actions des banques centrales pour gérer les conséquences de l’intervention sur la liquidité : Lorsqu’une banque centrale intervient pour défendre le taux de change, elle diminue l’offre de monnaie locale et augmente l’offre de devises étrangères. Si les autres facteurs restent les mêmes, cela devrait soutenir le taux de change de la monnaie locale. La diminution de la liquidité en monnaie locale fait grimper les taux d’intérêt intérieurs, apportant un soutien supplémentaire au taux de change. Toutefois, la banque centrale s’efforce souvent de protéger l’économie nationale contre une hausse des taux d’intérêt. Les autorités sont également susceptibles d’être mécontentes d’une hausse du coût du financement de la dette publique. La banque centrale réinjecte donc généralement des liquidités dans le système bancaire, maintenant ainsi les taux d’intérêt locaux relativement stables, mais nuisant à ses efforts pour soutenir la monnaie. Si une monnaie plus faible entraîne une hausse de l’inflation intérieure, ces opérations de liquidité affaiblissent non seulement le taux de change, mais aussi la stabilité des prix intérieurs, diminuant ainsi l’efficacité de la politique monétaire et des opérations d’intervention.
  • L’ouverture du compte de capital : Les pays émergents ouverts n’ont pas tous le même niveau d’ouverture, en particulier en ce qui concerne le compte de capital. Un compte de capital ouvert peut faciliter les flux de capitaux entrants et sortants dans des circonstances normales, mais de nombreux mouvements unidirectionnels en période d’instabilité peuvent anéantir la capacité de la banque centrale à stabiliser la monnaie. Il est toutefois crucial d’éviter de fortes fluctuations du taux de change en raison de la facilité avec laquelle les flux financiers à court terme des résidents et des non-résidents peuvent se produire en réponse aux anticipations de taux de change.
  • L’exposition en devises du secteur privé et niveau de couverture : Dans les pays émergents, la banque centrale doit surveiller attentivement cette exposition et même la réglementer pour s’assurer qu’elle ne présente aucun risque pour la stabilité économique et financière nationale. Sans ces précautions, les pressions exercées sur le taux de change par des achats de devises en panique risquent d’annihiler les interventions visant à soutenir la monnaie.
L’adéquation des réserves

Le niveau des réserves a son importance non seulement pour une intervention, mais aussi pour inspirer la confiance dans la capacité d’un pays à honorer ses engagements financiers dans le monde. Le maintien d’un encours suffisamment élevé de réserves est une considération de premier ordre de la politique monétaire.

L’un des moyens de réduire la demande de réserves auprès de la banque centrale consiste à développer le marché local en devises, pour offrir davantage de possibilités à une intermédiation privée des flux de devises et à de nouveaux instruments de couverture. Ainsi, la fréquence des interventions de la banque centrale devrait être réduite. En période d’incertitude, il arrive fréquemment que les devises étrangères se tarissent en raison d’une demande excessive ou de la thésaurisation. Ce sont en fin de compte les réserves de la banque centrale qui doivent à nouveau fournir le mécanisme de sécurité du marché.

La viabilité des réserves est également fonction des sources dont elles proviennent : les réserves issues d’excédents du compte des transactions courantes et de flux d’investissements directs étrangers sont en général plus fiables que les réserves issues de flux de portefeuilles à court terme. Les réserves doivent être constituées lors de périodes fastes. Dans les pays émergents, les banques centrales sont souvent soumises à des pressions politiques pour détourner les réserves existantes vers d’autres fins, rendant les pays vulnérables et limitant les capacités d’intervention des banques centrales lorsqu’elles en ont besoin.

Il existe des sources de réserves d’urgence. Le financement du FMI est une option, mais une option de dernier recours pour nombre de pays, notamment d’Asie. Les pays ont également des accords bilatéraux d’échange de devises à court terme pour apporter des liquidités d’urgence en dollars ou en monnaies locales. Parmi les pays de l’ASEAN+3, un accord de mutualisation des ressources de 240 milliards de dollars connu sous le nom d’accord de multilatéralisation dans le cadre de l’initiative de Chiang Mai apporte un soutien en liquidités aux pays de la région en période de tensions extérieures. Ces accords n’ont toutefois pas entamé le désir des pays membres de constituer leurs propres réserves pour diverses raisons, notamment l’indépendance de leur politique monétaire.

Lorsque les réserves s’épuisent ou que les flux de capitaux sont si nombreux qu’une intervention a peu de chances de réussir, il convient de procéder à une intervention plus directe pour rétablir la stabilité. Les décideurs peuvent à juste titre envisager des mesures visant à restreindre les flux de capitaux. Nombre de facteurs qui contribuent à la réussite des interventions entreront également en jeu pour déterminer le succès de ces contrôles de capitaux. Les décideurs qui imposent des contrôles de capitaux doivent également faire preuve de prudence lorsqu’ils choisissent le moment de les supprimer — le faire trop tôt peut être aussi risqué que de les maintenir en place trop longtemps.

S’ils sont bien faits, les contrôles de capitaux peuvent agir comme un coupe-circuit qui protège les réserves de change et donne aux décideurs un répit temporaire pour procéder à des réformes visant à réduire les facteurs de vulnérabilité et à soutenir l’économie, sans avoir à s’inquiéter de l’instabilité extérieure. La confiance dans l’économie locale est un paramètre fondamental essentiel et doit être rétablie par des politiques crédibles, après quoi les contrôles peuvent être progressivement assouplis, puis supprimés.

SUKUDHEW SINGH a été gouverneur adjoint de la Banque Negara de Malaisie entre 2013 et 2017.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.