Les innovations financières : des plus anciennes aux plus récentes

Itai Agur

Photo : katerynadeineka/iStock

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Krachs éclairs

Le gain d’efficacité apporté par la tokenisation ne va pas sans risque. Comme sur la route, la vitesse fait gagner du temps, mais accroît également le risque d’accidents et leur gravité. Les marchés financiers obéissent à la même logique. L’accélération et l’automatisation des transactions ont déjà entraîné des krachs soudains, appelés « krachs éclairs », comme à Wall Street en 2010, lorsqu’environ 1 000 milliards de dollars de capitalisation se sont évaporés l’espace de quelques instants. En facilitant la programmation et l’exécution instantanée d’ordres automatisés, la tokenisation accentue les risques et la volatilité.

Les crises financières ont souvent un effet domino, une faillite en entraînant une autre. Ce fut le cas en 2008–09, lorsque les géants mondiaux Bear Stearns, Lehman Brothers et AIG se sont tous effondrés en l’espace de six mois. Sur un registre tokenisé, des chaînes de programmes imbriquées les unes dans les autres sont vouées à tomber en cascade en cas de crise.

La tokenisation et la programmabilité facilitent également la création de produits financiers complexes, dont les risques échappent souvent aux autorités de réglementation, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Ce fut le cas de certains actifs non programmables qui se sont détériorés pendant la crise de 2008–09. Selon les conclusions du Rapport d’enquête sur la crise financière, la « bulle de complexité » a éclaté en même temps que la bulle immobilière, et « ces titres largement incompris, adossés à des créances hypothécaires qu’aucun banquier n’aurait signées 20 ans plus tôt, ont été les premiers dominos à tomber dans le secteur financier ». La programmabilité rend le système financier encore plus complexe et ne facilite guère la tâche des autorités de réglementation chargées de surveiller d’éventuels risques.

Le niveau d’endettement entre les acteurs d’un marché financier peut transformer une simple secousse en véritable tsunami. L’endettement accentue les chocs, car il repose sur une promesse de remboursement — et rien n’entame autant la confiance qu’une promesse non tenue. La tokenisation favorise l’endettement, car les investisseurs ou les institutions peuvent contracter des emprunts garantis par des jetons, puis réinvestir les fonds. Mais si un maillon de la chaîne faillit — si un jeton perd de sa valeur, par exemple — c’est tout le système qui peut vaciller.

Une technologie hybride

Les actifs financiers sont passés des registres papier aux écritures numériques, puis aux jetons programmables. Cette évolution gagne désormais les actifs non financiers, comme l’immobilier, et pourrait même s’étendre aux garanties agricoles telles que les terres cultivées ou le bétail. Mais ces actifs physiques ne peuvent pas être totalement dématérialisés : leur valeur physique doit être entretenue, tout comme un agriculteur entretient son troupeau ou ses pâturages. La tokenisation des actifs non financiers s’apparente donc à une technologie hybride, à mi-­chemin entre le monde matériel et financier.

De l’usage des cauris dans l’Antiquité aux jetons numériques d’aujourd’hui, les sociétés humaines ont toujours su adopter de nouveaux moyens d’échange. Les dernières innovations apportent des avantages évidents grâce à des transactions plus rapides et moins coûteuses. Mais elles comportent aussi des risques. La vitesse, la complexité et l’endettement à risque ont tous contribué aux crises passées, et la tokenisation accentue ces facteurs de vulnérabilité. Comme toute innovation, les jetons numériques doivent être maniés avec précaution.

Le présent article est basé sur une note du FMI relative à la fintech, intitulée « Tokenization and Financial Market Inefficiencies ».

ITAI AGUR est économiste principal au département des études du FMI.

Les opinions exprimées dans la revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la politique du FMI.